Il s'agit d'une histoire complète qui s'adresse aussi bien à des nouveaux lecteurs, qu'à des lecteurs familiers avec le personnage de Superman. Ce tome comprend les 7 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016, écrits par Max Landis, scénariste et acteur. Chaque épisode est dessiné par un artiste différent : Nick Dragotta (épisode 1, couleurs d'Alex Guimarães), Tommy Lee Edwards (épisode 2), Joëlle Jones (épisode 3, couleurs de Rico Renzi), Jae Lee (épisode 4, couleurs de June Chung), Francis Manapul (épisode 5), Jonathan Case (épisode 6), Jock (épisode 7, couleurs de Lee Loughridge). Toutes les couvertures ont été réalisées par Ryan Sook. Ce tome comprend également les couvertures alternatives, l'artiste de chaque épisode ayant réalisé une couverture alternative.


Martha & Jonathan Kent élèvent leur fils Clark, dans une ferme aux environs de Smallville. Alors que le récit commence, Clark (enfant d'une dizaine d'années) vient de défoncer le plafond de sa chambre pendant son sommeil, avec sa mère accrochée à sa jambe. Son pouvoir de vol autonome vient de se manifester à son insu. Un peu plus tard, Clark Kent regarde un film dans un cinéma en plein en air, en compagnie de 2 de ses copains, Peter Ross et Lana Lang. À nouveau, son pouvoir se manifeste de façon inopinée. Par la suite, son père va essayer de trouver des méthodes pour que Clark apprenne à maîtriser cette capacité extraordinaire.


Quelques années plus tard, Clark révise sa leçon de français avec Lana Lang, dans le café de Smallville. Puis il va descendre quelques bières avec Peter Ross et Kenny. Ces derniers veulent absolument savoir si Clark a déjà utilisé sa vision à rayon X pour regarder sous les vêtements des filles. Pendant ce temps-là, un groupe de 3 délinquants effectue un braquage à main armée dans la supérette de la station-service de Smallville. Ils piquent la caisse, tuent l'employé au comptoir et prennent la fuite. Lorsque Clark finit par être mis au courant. Il se demande comment réagir, comment venger le caissier, comment éviter que ces tueurs ne recommencent.


A priori, cette histoire a beaucoup de caractéristiques qui incitent le lecteur à passer son chemin. Pour commencer, il s'agit d'une énième version des origines de Superman. Non seulement, il en existe déjà de nombreuses versions, mais en plus il n'y a aucune raison que celle-ci présente un quelconque intérêt, ou une éventuelle de forme de pérennité dans la continuité de l'univers partagé DC. Ensuite l'argument de vente majeur réside dans l'identité du scénariste, c’est-à-dire une opération marketing mettant en avant qu'il s'agit d'un créateur venant du cinéma et de la télévision, et donc apportant une forme d'aura de célébrité et de crédibilité à un comics, lecture infantile par excellence. Enfin, la succession de dessinateurs va plutôt à l'encontre du principe d'un récit complet et d'un seul tenant réalisé par une équipe unique, plutôt qu'une succession d'intervenants dans une forme de processus industriel.


Ça ne rate pas, le lecteur a bel et bien droit aux points de passage obligés : la découverte des pouvoirs, la prise de conscience de ses responsabilité, l'arrivée à Metropolis et les premières rencontres avec Lois Lane et Lex Luthor, les premiers contacts avec d'autres superhéros dont Batman, le choix de porter un costume moulant, le premier affrontement contre un supercriminel, les premiers contacts avec d'autres extraterrestres. Bien sûr en 7 épisodes, le récit ne peut pas revisiter tous les poncifs de la mythologie Superman, mais Max Landis réussit à en caser quelques un encore avec 1 page en plus de l'épisode en fin des numéros 1 à 5. À la fin du numéro 1, Matthew Clark illustre une double page qui évoque l'adoption de Clark par les Kent, sous forme de notes, de certificats, et d'articles de journaux. Épisode 2, Evan Shaner dessine une page dans laquelle il est question d'une créature qui aurait survécu à l'explosion de Krypton. Épisode 3, Mark Buckingham illustre une page consacrée à un personnage au nom imprononçable : Mister Mxyzptlk. Épisode 4, une page dessinée par Steve Dillon montre l'origine d'un des ennemis emblématiques de Superman. Épisode 5, Matthew Clark réalise une page évoquant le premier article de Jimmy Olsen.


Pourtant dès les premières pages, le lecteur se prend d'amitié pour cette version de Clark Kent, très humain, réservé sans être introverti, très ordinaire et accessible. Il est impossible de rester insensible à la détresse de Clark enfant incapable de faire face à ses pouvoirs qui se manifestent de manière anarchique. Le lecteur observe avec curiosité la manière dont les circonstances contraignent Clark à prendre des initiatives pour utiliser ses pouvoirs. Il est complètement pris au dépourvu par la forme du premier contact avec un autre superhéros. Au premier niveau de lecture, Max Landis propose une version très naturaliste et sensible de la construction du personnage, pour aboutir au Superman que tout le monde connaît. Il montre que Clark est un individu ouvert aux autres, à l'écoute de ce que pensent les autres, et qu'il construit sa place en fonction des aspirations des individus qu'il côtoie. Il prend en compte les questions un peu délicates, et leur trouve une explication naturelle et organique. En particulier, Superman est amené à expliquer pourquoi il porte une cape (accessoire vestimentaire assez théâtral et peu crédible), avec une justification très simple et logique. De la même manière, il met en scène le premier contact de Clark Kent avec d'autres extraterrestres, avec des observations logiques qui coulent de source, sur le fait que cela ouvre des horizons inattendus à Clark (il peut peut-être espérer voyager jusqu'à Krypton un jour), et les extraterrestres effectuent des commentaires sur la présence d'un habitant de Krypton malgré sa destruction.


À ce premier niveau de lecture, cette histoire se place directement dans les meilleures histoires d'origine de Superman, avec une lecture d'une rare cohérence et un personnage attachant qui a perdu sa mièvrerie, sans perdre de sa gentillesse. Le deuxième niveau de lecture s'adresse plus particulièrement aux lecteurs familiers du personnage, c’est-à-dire la majeure partie du lectorat. Ceux-ci connaissent par cœur les étapes successives de cette histoire. Max Landis rédige ses dialogues de manière naturaliste, tout en indiquant à ces lecteurs qu'il va répondre aux questions habituelles (la motivation pour devenir un superhéros, la logique qui habite Lex Luthor, la concurrence journalistique entre Lois et Clark, etc.), mais avec des arguments un peu différents. L'intelligence de l'écriture du scénariste est de savoir combiner ainsi le premier degré de l'histoire, avec des clins d'œil qui peuvent se comprendre aux 2 niveaux, premier et dialogue du scénariste avec le lecteur connaisseur de ce superhéros. Il atteint encore un palier plus élevé de mise en abyme, lors de la page en fin d'épisode 3 consacré à Mister Mxyzptlk. Ce dernier s'adresse directement au lecteur, brisant le quatrième mur dans une page de 9 cases très épurées : 2 cases blanches, un personnage infantile, un fond blanc immuable. Il tient un discours sur la force de l'existence des personnages de fiction. Au premier degré, il s'agit de légitimer l'existence de Mister Mxyzptlk dans les aventures de Superman, malgré sa nature profondément infantile (il modifie la réalité à sa guise, selon sa volonté), et son apparence idiote (une sorte de petit gnome dans un costume voyant ridicule). À un deuxième niveau, le lecteur y perçoit le credo de l'auteur quant aux personnages de fiction, et donc la légitimation de l'existence de personnages dotés de capacités fabuleuses, et s'habillant de costumes moulants et voyants, comme Superman.


Il est également possible de voir dans cette histoire, celle d'un individu avec des capacités particulières qui essaye de trouver sa place dans la société pour être constructif, réussir à vivre avec les autres plutôt que contre eux, être un élément positif et solaire, sans sacrifier son égo jusqu'à avoir l'altruisme d'un saint. Clark Kent est un individu qui voit la vie du bon côté, qui n'hésite pas à affronter les difficultés diverses et variées, qui pense aux autres, qui sait les écouter, et qui reste constructif. Alors même qu'il est peu vraisemblable que le lecteur ait pour ambition de s'habiller en rouge et bleu, et de se lancer dans l'apprentissage du vol autonome, ce Clark Kent est un modèle positif de formation de la personnalité, de la façon d'être un élément constructif de la société. L'élégance de la narration de l'auteur est de mettre en scène cet individu et de montrer comment il se développe, sans jamais recourir à un prêche de valeurs morales.


Dès le deuxième épisode, la pertinence d'avoir des artistes successifs apparaît : chaque épisode se déroule à quelques années d'intervalle ou correspond à une phase bien distincte du développement de Clark en tant qu'individu, ainsi chaque dessinateur apporte une ambiance particulière. Nick Dagrotta réalise des dessins aux contours légèrement simplifiés, avec une exagération des expressions des visages, totalement en phase avec l'âge de Clark, environ une dizaine d'années. La mise en couleurs d'Alex Guimarãres habille les dessins, en rehaussant discrètement les reliefs, avec quelques effets spéciaux pour augmenter le niveau spectaculaire des séquences de vol autonome. Tommy Lee Edwards détoure les formes avec un encrage plus appuyé et moins arrondi. Cette approche graphique est à l'unisson du thème principal de cet épisode : un assassinat de sang-froid d'un caissier. Il accompagne la prise de conscience de Clark, de la noirceur qui existe dans le monde, des comportements destructeurs de certains individus. Le troisième épisode prend le lecteur totalement au dépourvu quant à l'histoire qu'il contient, mais aussi par sa mise en couleurs (des couleurs très vives et claires) et ses dessins. Joëlle Jones sait rendre compte de la jeunesse des personnages, de l'esprit de fête, et des comportements détendus. C'est à nouveau une belle cohérence entre l'esprit de l'épisode et son apparence visuelle.


Le lecteur est un peu surpris de découvrir que Jae Lee a dessiné un épisode de cette histoire car il est plutôt habitué des histoires sombres, avec des aplats de noir aux formes élégantes et torturées. À nouveau, le choix de cet artiste s'avère pertinent, que ce soit pour le raffinement de Lex Luthor qui lui donne une ambiguïté morale nécessaire, pour Clark Kent esquissant un pas de danse en chantonnant une chanson de Michael Jackson, ou pour la noirceur d'un superhéros de la nuit. Francis Manapul met toutes ses compétences techniques au service du combat de l'épisode suivant, à la fois par son attention à la logique de spatialisation des déplacements, et par sa mise en couleurs originales. Jonathan Case est plutôt un artiste à l'aise dans les histoires mettant en scène des êtres humains normaux, et à nouveau l'épisode repose sur ses points forts, pour des échanges entre potes, aussi banals qu'essentiels dans l'évolution de Clark Kent, et ses questions sur son positionnement. Enfin, Jock réalise des cases montrant des individus aux formes malmenées, rendant compte de l'état d'esprit de Clark face à un ennemi à la logique incompatible avec la sienne, aux valeurs morales inexistantes, au point d'en être insupportable pour Clark.


Un peu rétif à l'idée de lire encore une autre version des origines de Superman, qui plus est écrite par un auteur étranger au monde des comics et donc aux techniques narratives des comics, le lecteur se lie tout de suite d'amitié pour ce Clark Kent. Il découvre un auteur comprenant le personnage et capable d'en donner une version construite, respectueuse et personnelle, bénéficiant de dessinateurs de haut niveau pour chaque phase de développement du protagoniste. Au final, cette version est une réussite totale qui se suffit à elle-même, qui justifie son existence pour ses qualités propres, sans avoir besoin d'être rattachée à l'une des continuités de l'univers partagé DC, sans avoir besoin d'une suite. Une ou deux fois, Max Landis donne même à voir au lecteur de manière explicite les différents niveaux de lecture, ce dernier se rendant compte qu'ils sont présents tout au long du récit s'il souhaite y prêter attention.

Presence
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le 3 août 2019

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