Tant pis pour l’amour est une émouvante BD coup de poing, paf dans les tripes, mais aussi drôle et tendre, écrite, dessinée et portée par son auteur Sophie Lambda qui témoigne d’une relation toxique avec « Marcus » (le prénom a été changé).
L’histoire personnelle et amoureuse aurait pu n’être qu’un témoignage de plus, avec le risque de prendre à parti le lecteur, d’aller lui titiller les glandes lacrymales pour, peut-être, horreur, se mettre en avant.
Expirons un grand coup cette pensée malhonnête, ce préjugé idiot, ce n’est pas le cas. Car Sophie Lamba arrive à utiliser le personnel pour exprimer l’universel, toutefois consciente que toutes les réponses ne seront pas apportées. Et elle le fait avec une grande ironie ou un rire désespéré, s’excusant devant le lecteur d’avoir été si faible, de n’avoir pas compris les signaux, d’avoir voulu croire à leur histoire. Elle prend à parti le lecteur, ou commente les scènes avec son ours en peluche Chocolat, grincheux et méfiant, sa bonne conscience mise de côté mais à l’humour cynique qui fait des rivages.
Tout commence si bien, une rencontre, puis une autre, et il y a le feu dans son petit coeur, et dans celui de Marcus. Leur relation est belle, forte, passionnée, de quoi faire trembler la Terre. Mais progressivement cela s’envenime, par petites touches empoisonnées, puis par grosses louches trempées dans le cyanure. Les petites remarques qui manipulent, les critiques qui culpabilisent, les mensonges, les tromperies, dans une spirale qui engloutit Sophie et son entourage.
Elle fera le choix de couper les ponts, enfin, mais il est déjà trop tard, le mal est là, avec lui les interrogations, les doutes, l’isolement et la dépression. Tout ça en essayant de comprendre, ce pourquoi moi ? Pourquoi ça ? Une vaine tentative.
L’auteure fait donc le choix judicieux de présenter les suites, pas des plus faciles. La rupture ne guérit pas. La troisième partie devient alors plus documentée, les lectures sont mentionnées, les concepts évoqués (avec beaucoup de termes anglo-saxons, correspondant à des recherches sur le sujet avant tout anglophones) et il a fallu en passer par un psychologue. On s’éloigne un peu du maelström de la vie de Sophie pour mieux comprendre les rouages de la tête des pervers narcissiques et autres manipulateurs.
Sophie nous enveloppe si bien dans sa vie personnelle que c’est un peu à contre-courant qu’on doit accepter cette partie où les émotions s’éloignent, mais qui est pourtant très instructive, où les mécanismes de manipulation sont présentés, et ils sont nombreux. Des conseils sont fournis, pour associer les idées aux pratiques, pour mieux se protéger de certains comportements vampiriques.
Sophie Lambda le précise bien, il ne s’agit pas de blâmer un genre sexuel, les manipulateurs n’ont pas de sexe, ce sont des particularités psychologiques, des dynamites à pattes qui explosent dans les bras de ceux qui les accueillent. Elle a eu « Marcus ». Mais il y en a d’autres, et on peut peut-être en pointer certains parmi nos entourages, puisqu’eux ne sont pas, le plus souvent, conscients de la pleine mesure de leur acte.
Comme tant d’autres, Sophie Lambda a commencé à se faire un nom avec un blog BD, elle obtient même une récompense aux Golden Blog Awards de 2013. Relire ses pages à la lumière de cet album fait assez froid dans le dos, puisqu’on n’en retrouve guère les tourments. Comme tant d’autres, la blogueuse parle de petites choses de la vie, quelques anecdotes croquées et autres messages d’amour envers les lecteurs. Le style n’est d’ailleurs guère original, il est gracile, féminin, appliqué mais sans spécificités.
Pour cet album, le trait se fait plus rond, et les expressions optent pour des exagérations plus cartoons. La stylisation fonctionne, chaque visage se lit, chaque émotion se ressent. Les couleurs sont peu nombreuses, elles sont froides, mais le plus souvent enveloppées de noirs et de gris. Les cases s’enchaînent, pour mieux faire battre notre petit coeur de lecteur ou le resserrer, avec quelques effets visuels réussis.
Et cette couverture, si belle, si forte.
Témoigner, oui, mais avec le sourire de celle qui a vaincu ses Démons, pour mieux se moquer d’elle mais aussi expliquer ce type de comportement. Qu’elle ait la force d’un rire ou d’un sanglot, l’émotion qui jaillit de cet album est honnête, forte et vivante.