L'ennui, avec les zombies qui perdent des morceaux en route, c'est que c'est un peu répétitif. Dans un monde où la sociabilité pue un peu, Robert Kirkman n'a pas trop le choix pour varier le menu cadavérique de ses personnages : soit il se font tuer par des morts-vivants, soit ils se font tuer par des vivants bientôt morts. L'option attendue (expliquer la raison ultime de la zombification, et y porter remède) est écartée de manière péremptoire (le mot "définitivement" qui hurle en rouge sur la quatrième de couverture est plus infranchissable qu'un mur de Berlin).
Alors, ici, on dégomme bien quelques pourris déambulants, pour la forme, mais l'essentiel, c'est le retour d'un hyper-vilain bien vivant, qui reprend la thématique du Gouverneur : le sadique de première bourre qui justifie le titre de cet épisode en écrabouillant méthodiquement un crâne ex-bien vivant. L'horreur vous éclabousse. Lucille (batte de base-ball entourée de fil de fer barbelé) est l'outil performant de ce bon artisan de l'abjection. Qui s'appelle Negan. Vu les options scénaristiques de la série, à côté desquelles la série de films "Saw" fait figure de dessin animé disneyen pour remise des prix dans des écoles de petites filles, on a du mal a croire à un choix symbolique de Kirkman : "Negan" hurle, par son nom même, la négation, le nihilisme, bref les forces du Mal diaboliques. On nous refait donc, avec des nuances, le coup du Gouverneur. Sauf que Negan fait moins dégénéré, c'est juste un énorme musclé qui jouit chaque fois qu'il abuse de sa force.
La courbe que prenait la série se retrouve donc brisée et ralentie : la bande à Rick, qui se voyait de plus en plus comme apte à faire face à tous les dangers et à se battre avec succès, doit plier le genou devant le nombre des mecs de Negan. Normalement, c'est parti pour deux ou trois albums de plus sur la baston qu'on attend.
Kirkman est toujours intéressant dans ses dialogues de vie quotidienne mêlant tous les sentiments humains : désir, envie, jalousie, respect, colère, déprime... Ils forment un contrepoint fort bien rythmé aux tempos de crises. Ici, Rick a enfin laissé tomber ses séances téléphoniques hallucinatoires avec Lori, et se met, de fait, avec la principale héroïne (à part Michonne), Andrea. On souhaite que le couple tienne, mais on sait aussi que Kirkman est d'un sadisme hors du commun avec ses héros pour les laisser trop longtemps en vie. Pourtant, Rick doit être conservé comme personnage central, et les raisons que donne Negan pour l'épargner (page 89) semblent fort tirées par les cheveux, comme si ce démon faisait dans la dentelle !
Les séances à l'église sont, elles aussi, un peu surréalistes. La plupart du temps, c'est pour enterrer quelqu'un, mais, dans ce monde propre à rendre fou n'importe qui, les assistants aux offices écoutent sagement et avec courtoisie les sermons du prêtre qui parle de Dieu, alors que tout porte à croire que Dieu a complètement déserté cette planète.
Les sales gueules et les scènes de viande hachée, percée ou torturée sont en nombre suffisant pour attirer les charognards de toute espèce. Vautours, mes amis, mes frères, voici votre pâture !
Faut bien racoler le lecteur par l'angoisse, alors on comparera le projet de couverture de Charlie Adlard pages 152-153 avec celui qui a vraiment été retenu pour l'album : dans le projet, un tas de cadavres (normal); sur la couverture finale, Adlard y a rajouté, au tout premier plan, le cadavre d'Andrea, facilement reconnaissable. Or, cette image ne correspond à aucun élément contenu dans cet album : Andrea est bien vivante du début à la fin. Arnaque de bas étage.