Darwyn Cooke est l’un de mes artistes préférés. Sa disparition fut un véritable crève-cœur. Il est toujours difficile de se dire que nous n’aurons plus la chance de voir les dessins, les œuvres d’un tel artiste. J’avais donc à cœur de me retrouver en possession de ses plus grandes œuvres. Aussi, trois ans plus tard, lorsque j’ai appris que Urban Comics allait éditer The New Frontier, que je n’avais jamais lu, dans la nouvelle collection Black Label, mon cœur n’a fait qu’un tour.
Durant les années 1950, l'Amérique en pleine Guerre Froide plonge dans la paranoïa et met au ban de la société les premiers super-héros des années quarante. Mais des cendres de cette époque révolue vont éclore de nouveaux justiciers parmi lesquels J'onn J'onzz, Barry Allen ou encore Hal Jordan. Et cette génération de héros issue de la course à l'espace va devoir enquêter sur un mystère des plus anciens menaçant de conquérir la Terre.
The New Frontier ou le récit dans lequel l’auteur, multi-récompensé Darwyn Cooke (Parker, Ed Brubaker présente Catwoman) donne sa version de l’Histoire de l’Univers DC et de ses héros en les replongeant à l’époque de leur création. Cette édition présente également des épisodes inédits et une centaine de pages de bonus relatant la conception et la réalisation du projet, des influences aux crayonnés en passant par les recherches de personnages ou de couvertures ainsi que la version animée de ce chef-d’œuvre du neuvième Art.
(Contient les épisodes DC : The New Frontier #1 à 6 et Justice League : The New Frontier Special #1)
Bien évidemment je vais commencer en parlant des dessins. Darwyn Cooke est un artiste hors du commun. Dans un style délicieusement vintage, il nous transporte dans le glorieux et riche passé de l’univers DC. Un éditeur ayant les mêmes initiales que lui, signe que l’une de ses œuvres majeures devait être éditée ici. C’est simple, cela va à l’essentiel, c’est beau, c’est vivant, c’est tout simplement parfait !
Chaque page est une véritable claque, chaque case mérite que l’on s’arrête sur elle. Le travail de Darwyn Cooke sur cet ouvrage est d’une précision et d’une justesse incroyables. On sent que chaque dessin est un hommage à une époque bénie des comics.
Et que dire de ses personnages ! C’est juste incroyable la finesse et la beauté de ses personnages. Il se dégage, de chacun, tellement de choses, tellement d’informations, tellement… tellement… c’est juste incroyable de tels personnages. Carol Ferris est incroyablement belle, une insouciance juvénile transparaît sur le visage de Robin, Superman dégage une telle puissance, Wonder Woman est féroce et engagée, cela se voit sur son visage. La peur, la colère, l’inquiétude, la joie, le doute, l’insouciance, la stupidité, toutes les émotions, et mêmes plus encore, sont parfaitement retranscrite par Darwyn Cooke, c’est l’une de ses marques de fabriques. Sa capacité à transmettre tellement de choses avec simplement un visage, un regard.
Rien que ses dessins, justifient à eux seuls, l’achat de ce comics.
Entre 1945 et 1960, les États-Unis sont le théâtre, ou les acteurs de très nombreux évènements. Avec la victoire des Alliées durant la Seconde Guerre Mondiale, en grande partie grâce eux, le pays sort de son isolationnisme pour devenir, peu-à-peu, la plus grande puissance mondiale du monde. Surtout, durant cette période, les États-Unis, aiment, grâce à leur nouvelle notoriété, à prendre le rôle du redresseur de tords à travers le monde. Guerre du Vietnam, guerre froide… Les tensions avec Cuba, qui arriveront en 1962. Il y a tant d’exemples, et cela ne fait que s’accentuer avec le temps.
C’est en plein cœur de cette période trouble et si riche que Darwyn Cooke décide de planter son intrigue. Mais nous ne nous retrouvons pas avec une simple histoire de super-héros. Non, du tout, Darwyn Cooke incorpore cette période historique au coeur de son récit. Hal Jordan revient du Vietnam en étant profondément marqué et meurtri par ce qu’il y a vécu, comme bon nombre d’Américains, malheureusement. Il symbolise toute cette génération sacrifiée qui ne parvient plus à trouver de place dans ce pays en revenant. Illustrant à merveille, que plus que les blessures physiques, ce sont les blessures psychiques qui ont le plus détruit ces soldats.
Les États-Unis ont toujours eu une image négative en terme de racisme, l’Histoire de ce pays peut tendre à l’expliquer. Durant la période choisie, l’une des plus grand honte de l’histoire en matière de racisme, le Ku Klux Klan était toujours opérant dans les états du sud. Darwyn Cooke y fait allusion à travers la partie avec le personnage de John Henry. Un homme qui a perdu toute sa famille, à cause de leur couleur de peau et qui mène une vengeance solitaire et meurtrière. Mais comme bien souvent, l’homme blanc fini toujours pas gagner. La peur de la personne de couleur et de l’étranger est un thème que l’on retrouve souvent, et ici Darwyn Cooke tape très fort. Avec le personnage de John Henry, et plus tard avec le Limier Martien, qui illustre à merveille l’étranger, venant d’une autre planète.
Jusque là, je vous l’accord, on se retrouve avec un récit pas vraiment optimiste, Darwyn Cooke nous dépeint un monde assez sombre et avec pas mal de défaut, il est loin le vieil adage « C’était mieux avant. ». Cela n’a jamais été mieux, du moins pas depuis l’arrivée de l’Homme et de sa certitude, absolument fausse, que tout lui appartient.
Mais alors pourquoi New Frontier ? Pourquoi utiliser ce terme employé par John F. Kennedy lors de son investiture ? A l’époque les Américains s’ouvrait au monde, en trébuchant souvent, comme lorsqu’un enfant apprend à marcher, mais ils découvraient que le monde tournait sans eux, et qu’il fallait maintenant repousser les frontières, en levant les yeux vers l’espace !
Ce n’est clairement pas dans ce sens que Darwyn Cooke nous propose ce récit. L’auteur ne sert pas de porte-parole à John F. Kennedy, ou à pousser les Américains à repousser leur frontière, non le titre sert ici à montrer à quel point il était nécessaire de s’ouvrir au futur, de tourner la page d’une époque révolue et dépassée.
Et c’est là le coup de génie de Darwyn Cooke, en jouant sur le changement d’époque qui s’opère dans ces années là, il en profite pour nous montrer l’évolution et les changements opérés dans les comics. Au début de The New Frontier la JSA est dissoute, suite à cette stupide chasse aux sorcières, rappelant la chasse aux communistes sous McCarthy, ou encore le livre Seduction of the Innocent, où Frederic Wertham tendait à faire croire que les super-héros étaient un fléau pour la jeunesse. Les super-héros d’avant disparaissent peu-à-peu, laissant la place, plus tard, à une nouvelle génération de héros, dans lesquels se trouve la sainte trinité, Wonder Woman, Batman et Superman, et représentée par des personnages comme Hal Jordan ou le Limier Martien.
Il y a tant de chose à dire sur The New Frontier. Je n’ai pas abordé Wonder Woman que l’on veut faire taire alors qu’elle tente de lancer le combat pour la parole des femmes. Preuve de plus que ces nouveaux personnages, ces nouveaux héros, ces nouveaux super-héros sont là pour permettre ce changement de période.
Bref, parler de The New Frontier est quelque chose de délicat, de compliquer. Darwyn Cooke, amoureux des comics, amoureux de leur histoire, amoureux des personnages de DC Comics, nous propose un pan de l’Histoire, avec toutes les dérives qui ont pu y exister, mais également l’espoir en un monde meilleur. Un espoir, merveilleusement illustré par cette nouvelle génération de super-héros. The New Frontier est une déclaration d’amour, une œuvre culte, une œuvre que tout fan de comics se doit d’avoir lu, à défaut de ne l’avoir dans sa bibliothèque.