Casterman oblige, c'est sous la forme de deux pavés onéreux que se présente le dernier Maruo : une libre adaptation de L'enfer de Tomino - poème maudit pour quiconque le lirait à voix haute. Si le mangaka est réputé comme étant l'une des figures de l'érotico-grotesque (Ero guro) - sous-genre pictural à l'imagerie sexuelle fantasmagorique hérité des estampes - Tomino la maudite déroge à la règle de par son pitch voyant dans le Tokyo des années 30, le quotidien d'enfants jumeaux abandonnés puis vendus à un cirque de monstres.


D'emblée, la finesse du trait de l'auteur saute aux yeux. La composition de ses cases est léchée, les arrière-plans souvent détaillés, l'encrage précis : c'est de toute beauté. D'une froide beauté même. Le regard vide des jumeaux Katan et Tomino dégageant un puissant sentiment d'absence, comme s'ils n'étaient déjà plus de ce monde. Un monde peuplé de figures perverses, où l'innocence et la différence tiennent lieu de marchandises.


On touche là aux forces et faiblesses du titre. Si le sadisme des situations rencontrées se traduit par de réels moments de malaise, porté par une galerie de personnages tous plus déviants les uns que les autres, l'absence de psychologie tend à verser dans la cruauté gratuite - pour ne pas dire complaisante. Antagonistes peu développés, aux motivations floues, dont on devine pourtant un semblant d'envergure : des figures du mal dont le sort importe peu au final.


C'est plutôt lorsqu'il se concentre sur le quotidien de sa troupe que Maruo révèle le cœur de son ouvrage. Combines à base de tours de passe-passe télépathiques et tranches de vie solidaires resserrent les liens de cette famille de fortune dans un Japon de misère. L'occasion pour le mangaka de recentrer son récit dans son cadre historique, notamment lors de l'irruption de la seconde guerre mondiale, en plus d'illustrer la stigmatisation dont ont été victimes les chrétiens d'Orient - l'auteur s'étant dispersé entre-temps dans une sous-intrigue mystique sur les dérives sectaires aussi survolée que lacunaire.


Au final, Tomino est un édifice de la cruauté aux fondations fragiles. Maruo aimant se perdre dans le sordide, quitte à perdre le lecteur. En dépit d'une esthétique décadente, ellipses à foison et rebondissements abruptes donnent un aspect décousu à l'ensemble. Un patchwork que le peu de perspective confine à une vilenie de surface. À l'image de ces débordements surréalistes au symbolisme convenu, l'auteur récite plus qu'il ne raconte. Reste une dimension sociale prégnante où surnage la petite histoire dans la grande. Un traitement manichéen où les enfants apparaissent comme des figures angéliques captives d'adultes dépravés, mais où les enjeux moraux demeurent trop esquissés pour peser.

Alan_Smithee_VK
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le 7 avr. 2025

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