En France, Jirô Taniguchi compte parmi les rares mangaka « qui font bien ». Mon libraire m’a expliqué que c’est pour cela qu’il classe ses ouvrages dans les BD, et non avec les autres manga (authentique). C’est aussi pour cela qu’il se vend essentiellement auprès d’un certain lectorat, et les éditeurs l’ont compris.
Pour ma part, je l’ai découvert sur le tard, par le biais de ma bibliothèque municipale, où Naoki Urasawa, Osamu Tezuka, et lui sont les seuls auteurs de manga admis par les responsables. J’ai trouvé mes quelques incursions dans son univers plaisantes, sans être transcendantes, et je lui reprocherai de trop souvent évoquer les mêmes thèmes, au point de tourner en rond. Quartier Lointain possède de trop nombreux points communs avec Un Ciel Radieux, pour ne citer que ces deux-là : même place donnée à la famille, à la rédemption, à la seconde chance, aux relations père-fils, etc…


Trouble is my Business est finalement le premier manga de l’auteur que j’achète. Ce qui m’a séduit, c’est avant tout son synopsis. Et peut-être le fait qu’il s’agisse d’une œuvre de jeunesse, et qu’il n’en soit pas le scénariste. Mais le synopsis reste l’élément déclencheur.
Celui-ci promet une histoire de détective privée à l’ancienne, un peu caricaturale, proche de l’image véhiculée par un acteur comme Humphrey Bogart dans les plus belles heures du Film Noir. Et c’est exactement ce que j’ai trouvé dans ce manga : un héros cynique et désabusé, adepte du monologue, mais d’une rare perspicacité malgré un air débonnaire, et plus vertueux qu’il ne veut bien l’admettre.
Pour le lieu, nous quittons les bas quartiers de New-York et Chicago pour ceux de Tokyo, qui possèdent leurs propres spécificités : présence de la mafia sous la forme des sempiternels clans yakuza, bars à hôtesses, entre autres figures redondantes du folklore local. Détail intéressant, les armes sont moins omniprésentes que dans le cinéma hollywoodien, et Jotaro Fukamachi doit en louer une à chaque fois qu’il pourrait en avoir l’utilité.
Il en résulte une ambiance des plus réussies, sombre à souhait tout en restant typiquement nippone. Ce manga me rappelle étrangement City Hunter, sans le personnage de Ryo Saeba et tout ce qu’il pouvait apporter.


La noirceur du titre implique une composante dramatique marquée. Toutes les histoires ne finissent pas nécessairement mal, mais il s’agit d’un élément important de Trouble is my Business. Il faut dire que, à travers ce personnage de détective privée, les auteurs abordent des sujets aussi graves que la prostitution, la corruption, la manipulation politique, les réseaux mafieux,… Mine de rien, et malgré un style qui se veut réaliste, Jotaro Fukamachi laisse de nombreux cadavres derrière lui, souvent à son corps défendant.
Les histoires elles-mêmes ne durent jamais plus d’un chapitre. Cette concision permet d’évoquer nombre de possibilités différentes, dans les thèmes et les façons de les traiter, et oblige aussi à maintenir un rythme soutenu, synonyme d’efficacité. Je prends cela comme un bon point, même si je suppose que certains lecteurs pourront leur reprocher de rester superficielles. Toujours est-il que, grâce à cela, Trouble is my Business est un titre qui se lit très bien, dont les chapitres peuvent s’enchainer rapidement. Pour autant, il ne m’apparait pas comme un simple divertissement, car il s’avère exigeant en matière de dessin et dans les sujets qu’il évoque, sans parler de la noirceur déjà mentionnée tantôt.


Le dessin, parlons-en, me rappelle lui-aussi quelques-unes des plus belles heures de Tsukasa Hojo. Le trait de Jiro Taniguchi est réaliste – ce qui aide énormément à nous plonger dans l’histoire et surtout à nous intéresser aux drames des personnages – et très détaillé ; cela vaut aussi pour les environnements dans lesquels le personnage principal évolue. Loin d’accuser son âge – puisque ce manga a commencé au début des années 80 – je dirai plutôt qu’il possède du cachet, plus que dans les œuvres plus contemporaines du mangaka. Il s’agit d’une véritable qualité chez ce titre.
Trouble is my Business tient aussi beaucoup au caractère de son personnage principal, ainsi qu’à son style. Aussi proche de la caricature que le synopsis pouvait effectivement nous le faire penser, mais en même temps attachant, notamment via sa relation difficile avec sa fille, qui préfigure peut-être le futur attachement de Jiro Taniguchi envers l’entité familiale. Jotaro Fukamachi n’est pas parfait, il se coltine même son lot de défauts, mais il impressionne tout-de-même par son efficacité. Et, de temps à autre, il arrive même à devenir drôle.


L’édition de Kana est plus luxueuse que ce que l’éditeur propose d’habitude, probablement car le nom de Jiro Taniguchi attire des lecteurs issus de la BD « traditionnelle », et qu’il faut leur proposer un format dans lequel ils puissent se reconnaitre. Le prix s’en ressent forcément, mais la qualité de l’ouvrage et le nombre de pages aussi. La série est courte, puisqu’elle se termine en 6 tomes, mais cela représente un investissement au tome supérieur à la moyenne. Pour ma part, j’estime que l’épaisseur compense en bonne partie ce défaut, et que de toute façon, le titre mérite que nous nous y intéressions.
En effet, j’ai beaucoup aimé ce manga, malgré mes précédentes expériences concernant son co-auteur ; non pas que celles-ci furent décevantes, mais son style actuel ne correspond pas nécessairement à mes préférences. Là, j’ai découvert une histoire mature et sombre, explorant le côté obscur du Japon de la fin des années 70. Chaque chapitre apporte ses propres qualités, certains se montrant dramatiques et d’autres avant tout palpitants. Trouble is my Business peut aussi compter sur une ambiance saisissante, qui apporte énormément au titre et à l’attachement que je peux éprouver pour celui-ci.
Chaque nouveau tome de cette série s’impose comme une nouvelle réussite, je prends énormément de plaisir grâce à cette lecture.

Ninesisters

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