A l’époque, le crime avait choqué l’Amérique. Une famille de riches cultivateurs avait été froidement massacrée par Richard Hicock et Perry Smith, deux malfrats qui s’étaient connus en prison. Le but était de les dévaliser puis de les tuer pour ne pas laisser de témoins. Truman Capote, fasciné par cette affaire, décida d’en faire un roman non-fictionnel, « De sang-froid ». Et ce roman, qui le laissa littéralement exsangue, sera le dernier de sa carrière d’écrivain. Capote sombra ensuite dans l’alcool et la drogue, jusqu’à sa mort en 1984.

Quand on lit pour la première fois « De sang-froid », il est absolument impossible d’oublier ce roman culte basé sur des faits réels, tant son auteur a su dépeindre, avec un réalisme glaçant, le processus qui a conduit les deux meurtriers à faire usage d’une cruauté sans bornes pour décimer une famille innocente, dont deux enfants. Pour concevoir son scénario, Xavier Bétaucourt s’est centré sur la phase d’écriture du livre. Le massacre n’est que suggéré de façon assez brève. De même, une courte évocation de l’enfance difficile de Capote est intégrée, afin de nous aider à comprendre ce qui avait poussé celui-ci à se passionner pour ce fait divers, notamment par rapport à la liaison très particulière qu’il avait noué avec l’un des assassin, Perry Smith, peut-être par empathie avec un passé très similaire au sien. Les deux hommes entretenaient une relation épistolaire qui laissa croire à Truman qu’il avait peut-être trouvé l’âme sœur, car en effet, Smith fascinait l’écrivain. A tel point que ce dernier avait fini par s’identifier à son « personnage » (on peut même supposer qu’en tant qu’homosexuel, il ressentait de l’amour pour ce « bad boy » doté d’une sensibilité artistique), jusqu’au jour où Smith se rebella, avec la sensation sans doute d’être devenu la marionnette des écrits qui apporteraient la gloire à son « confident ». De plus, la condamnation (à mort) des deux meurtriers tarda à venir, empêchant Capote de boucler son roman et le maintenant dans un état de déprime permanent que seul l’alcool pouvait apaiser…

Xavier Bétaucourt nous fait ainsi entrer dans l’intimité d’un homme dont les blessures de l’enfance ne s’étaient jamais refermées, un personnage tiraillé entre les ombres d’une affaire sordide et les lumières d’une vie facile, où tout ne serait que calme, luxe et volupté. S’il avait la certitude que ce livre serait un chef d’œuvre, il en avait sous-estimé le prix à payer… Le scénario très bien construit nous donne à voir cette douleur intérieure qui accompagne en permanence l’écrivain et ne le quittera jamais…

Le récit est assorti au dessin très plaisant de Nadar, sans esbroufe mais avec une cohérence dans le déroulé de l’histoire. Les ajustements graphiques varient selon la tonalité de l’histoire. Noir et blanc oppressant et plans serrés pour les séquences évoquant le crime, N&B neutre et cases cinémascope pour les scènes du procès, mise en page classique et couleurs sobres pour le reste du récit.


LaurentProudhon
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le 1 juil. 2024

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