Traité sur la difficulté (pathologique) à couper le cordon ombilical.... :-///

Une fois n'est pas coutume, il sera très difficile de critiquer ce shôjo manga en 10 tomes (9 tomes principaux et 1 tome d'histoires bonus) sans spoiler et en particulier sans évoquer sa conclusion...très particulière, en tout cas inoubliable (mais pas vraiment dans le bon sens du terme...).


Allons-y franco: au vu de cette conclusion, je n'encouragerai personne à se lancer dans cette série, ou tout du moins je conseillerais fortement de se limiter uniquement au premier arc (celui de la jeunesse de la petite fille, Rin, c.a.d. les 4 ou 5 premiers tomes) et de laisser tomber le second arc (celui de son adolescence), qui est, de toute façon, même en mettant de côté la question de la fin, beaucoup moins intéressant.


Pour le premier arc, on a affaire à un manga familial qui suit le quotidien d'un célibataire de 30 ans, qui se retrouve tout d'un coup avec une petite fille de 6 ans à charge. On suit leurs petits tracas et leurs joies quotidiennes. Etant moi-même trentenaire et jeune père de famille, pas de problème, je me suis identifié à fond avec le personnage principal (Daikichi) et c'était une lecture bien agréable.
Arrive le second arc, avec un saut temporel de 10 ans, où l'on suit plutôt le quotidien de Rin à 16 ans dans son lycée, et notamment ses petits tracas sentimentaux, le personnage de Daikichi étant dans un premier temps plutôt mis de côté. La dimension "éducative" (tout le côté relation père-enfant) étant beaucoup plus en arrière-plan, on a désormais affaire à un shôjo beaucoup plus classique...mais aussi du coup beaucoup plus ennuyeux. La fin semble toute annoncée:


Rin devant de toute évidence finir avec son ami d'enfance et Daikichi avec la jolie maman divorcée de ce dernier (même si ça fait plus de 10 ans qu'ils se tournent autour sans conclure - WTF, Dr. House, sort de ce manga!)


Mais la mangaka semble décidée (et, selon l'interview à la fin du tome 10, depuis le tout début du manga...) à ne pas suivre ce chemin tout tracé. Bon là, on commence le méga-spoil :


je pense que tout lecteur normalement constitué a été un brin traumatisé comme moi par la conclusion et la décision de l'auteure de finalement mettre (et contre toute vraisemblance comme nous allons le voir) Daikichi et Rin ensemble...le tout se terminant par un échange hallucinant entre les deux personnages, Rin déclarant à Daikichi qu'elle veut un enfant de lui "pour le rendre aussi heureux que Daikichi l'a rendu heureuse en l'éduquant" (!). N'y allons pas par quatre chemins, même s'il ne s'agit pas d'inceste pur et simple puisque qu'on découvre opportunément que Rin et Daikichi n'ont finalement aucun lien de parenté comme on l'a longtemps cru, cette relation est objectivement malsaine (on pense par exemple à la relation entre Woody Allen et sa fille adoptive...).
Après, je me rétorquerai à moi-même que les récits et les artistes ne sont pas là uniquement pour nous ressortir toujours la même soupe narrative consensuelle et qu'ils sont aussi là de temps en temps pour nous mettre sous le nez le côté dégueulasse du monde dans lequel nous vivons et dans lequel ce genre de choses peuvent malheureusement arriver, aussi outrée que soit ma désormais puissante fibre paternelle.
Certes, me répondrai-je, mais ici, au-delà de la question morale, et comme cela a été souligné opportunément dans d'autres critiques sur ce site, cette conclusion génère selon moi trois énormes problèmes, avec quasiment pour effet de détruire rétroactivement toute la diégèse (l'univers narratif) construite au préalable par l'auteur.
1. Cette conclusion n'est, pour commencer, absolument pas cohérente avec le reste du récit: que Rin développe un amour sincère pour son père adoptif, pourquoi pas, mais on ne voit absolument pas comment Daikichi (vu ce que l'on sait de sa "personnalité" et de sa droiture morale) peut accepter cette situation et finalement se marier avec Rin...et quasiment avec fatalisme (tiens! enfin une femme qui m'aime. C'est ma fille adoptive? Bah, tant pis, elle est jeune et jolie! WTF!). La réaction normale dans son cas aurait été de renvoyer par exemple Rin chez sa mère et de rompre, de façon déchirante, toute relation avec elle, pour ne lui donner aucun espoir. Par ailleurs, on ne comprend absolument pas (hormis pour ouvrir à l'auteure la voie vers cette conclusion tordue) comment Daikichi et la jeune mère divorcée qui lui fait de l'oeil ont pu se tourner autour improductivement (pendant 10 ans!) sans que rien ne se passe. Ici, la mangaka, plutôt que de s'accrocher à une fin absurde, aurait plutôt dû se laisser guider par la dynamique narrative impulsée par son propre récit. Plus largement, on se demande comment un trentenaire, pas dégueulasse physiquement et sympa (bien qu'un peu grincheux), peut renoncer aussi vite à toute vie sexuelle et sentimentale pendant 10 ans, même avec une petite fille à élever (pas impossible certes, mais peu vraisemblable); le manga nous répète toutes les 10 pages que Daikichi n'est pas doué avec les femmes, certes, mais poussé trop loin, cet argument finit par ressembler plus à un deus ex machina pour l'auteure qu'à un véritable trait de personnalité du personnage.
2. Deuxièmement, alors que le premier arc constituait un véritable "feel-good" manga pour quiconque a fait l'expérience de la paternité, la conclusion a pour effet de jeter rétroactivement comme une nappe poisseuse sur l'ensemble des évènements dépeints, et de donner à voir finalement tout du long en Daikichi un espèce de pédophile pervers qui s'ignore mais se révèlera sur le tard...Du coup, tout le plaisir pris à la lecture du premier arc s'évanouit comme instantanément.
3. Enfin, et quasiment le plus grave, l'auteure n'a pas le courage d'assumer ses propres choix scénaristiques puisque les conséquences de la relation amoureuse entre Daikichi et Rin sont gentiment balayées sous le tapis. On aurait pourtant été très curieux de connaître les réactions (j'imagine assez choquées, voire scandalisées - à moins qu'il y ait un tel écart culturel sur ces questions entre le Japon et la France) de la famille, mais encore plus de leurs amis et collègues (pour Daikichi), et de savoir comment ils parviennent à ne pas devenir immédiatement des parias dans leur entourage et à ne pas être obligés de changer rapidement de ville. Il est pour moi honteux (et du coup, la mangaka a perdu tout mon respect sur ce coup-là) de dire, après une conclusion pareille "circulez, il n'y a rien à voir"!


Je pense avoir dit tout ce que j'avais sur le cœur à propos de ce manga. Il aurait pu être bon sans cette catastrophe industrielle ("Titanic-uesque") qu'est sa conclusion. Mais qu'a-t-il pu bien se passer dans la tête de la mangaka!?

Tibulle85
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le 17 janv. 2018

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Tibulle85

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