Je ne sais jamais trop quoi faire d’une œuvre d’Inio Asano. D’autant moins lorsque je sens que celle-ci a été écrite avec sincérité, et non pour se conformer à ce qui était attendu de lui. Il me cracherait à la gueule s’il lisait ce que je m’apprête à écrire, et je m’en désole, car c’est un auteur de talent, qui a su le prouver et multiplier les œuvres personnelles pour en témoigner. Il n’empêche, il y a parfois dans son écriture cet agaçant côté adolescent feel good malgré l’adversité du quotidien. « Tu vois, on est jeunes, on est libres, on fait des erreurs, mais tu vois, peu importe, même si c’est un peu déprimant » pourrait être inscrit sur l’épitaphe d’Un Monde Formidable. Oui, un épitaphe ; car c’est un enterrement dans les règles qui se profile.
Encore un de ces mangas sur les perdants de la vie moderne – les perdantes en l’occurrence – qui, à la croisée des chemins, ne sachant trop quoi faire de leur vie, trempés dans les soucis routiniers dans lesquels ils s’ensevelissent, finissent par s’en tirer grâce à quelques bons sentiments.
Plusieurs fois, il aura fallu que je me sorte de cette courte lecture – dix-neuf chapitres à peine – pour souffler ou plutôt, pour expirer ; que je soupire et reprenne mes esprits. Les personnages qu’on nous inflige, perdus dans leurs introspections constantes – procédé de présentation assez fainéant je trouve dans le cadre d’un manga – sont juste assez développés pour ne pas dire qu’ils ne le sont pas, mais juste assez chiants pour qu’on se désintéresse d’eux. Le « Moi je » est tapissé partout autour d’eux et, bien assez tôt, tout cela a un quelque chose d’assommant.
Les éléments propres aux menues hallucinations, ces fantasmes de rêves éveillés dans lequel tous somnolent, est certes un élément de mise en scène intéressant, mais finalement trop spécieux ; cherchant à être original pour la finalité de l’être. En y parvenant, là n’est pas la question, mais sans trop qu’on trouve leur présence justifiée durant certains chapitres.
Car c’est un recueil d’histoires courtes, nombreuses celles-ci. On peut peut-être s’en farcir une à l’occasion ; à dose homéopathique. Mais se coltiner les dix-neuf à la suite vous rongera la patience pour peu à peu vous consterner de ce que vous lirez.
« Le monde est injuste ». Même lorsque cela est dit subtilement et sans jérémiades, le seul fait de l’entendre ou de l’interpréter vous use. Les histoires varient, les personnalités des protagonistes elles aussi mais, au fond, ce sera sans cesse la même chose ; du feel good trempé dans une dépression latente.
De la poésie en vers courts, un sourire en fin de chapitre pour nous dire qu’au fond, tout n’est pas si mal, faut voir le bon côté des choses, et puis je ne suis pas seul. Voilà pour pour l’inlassable ritournelle mielleuse – mais écrite subtilement – dont nous serons gratifiés à chaque chapitre qui vient.
Pfffff…
Voyez, je soupire tellement que ça se répercute jusqu’à l’écrit. Et si vous aviez vu le nombre de fois où j’ai levé les yeux au ciel, vous vous seriez persuadé à terme que j’avais des pupilles laiteuses.
Le schéma de chaque chapitre est globalement le même. On prend des airs à semi-prostrés, on s’apitoie sur son sort en narration subjective, mais pas de trop, on exprime tous les signes d’une dépression, mais étouffés et, à la fin, ça va un peu mieux. Je ne sais pas si le monde est formidable, mais il m’apparaissait plus terne après avoir accompli cette lecture. Car c’est un accomplissement, croyez-moi ; la lassitude ne tarde pas à muer en ennui et l’ennui en exaspération.
Certains me diront que Inio Asano a su compiler là diverses fragrances de réalité quotidienne mises à nue, sans drame ni artifice, et sans regard foncièrement pessimiste en dépit de l’adversité observée… il n’empêche que l’on somnole bien assez tôt d’y être confronté. Faut dire qu’au fond, sans qu’il ne soit besoin de gratter très fort, tout le monde qui nous est présenté est beau, vertueux, et sympathique au fond. Un Monde Formidable n’est formidable qu’à condition de faire l’impasse sur bien des choses afin que son récit demeure suffisamment propre.
Eh bien, le chemin qui nous est offert est nickel, mais le fait qu’il ne mène nulle part d’intéressant ne donne pas franchement envie de s’y engager. La sincérité d’une œuvre ne fait pas tout. Les bons sentiments, même trempés dans une poésie languide, ne suffiront décidément jamais.