Ce tome est le deuxième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, elle paraît en prépublication dans le magazine Weekly morning depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche.


Takezo Shinmen se tient nu (avec son sabre en bois) devant une troupe d'une dizaine de soldats, devant la maison de la grand-mère Osugi. Il s'en suit un affrontement d'une violence sauvage. En menaçant le capitaine Aoki, Takezo réussit à s'enfuir dans les bois où il croise la route du moine Takuan Soho.


Alors que ses soldats, et les villageois réquisitionnés sont à la recherche de Takezo, le capitaine Aoki déguste un thé chez l'habitant, et requiert les services d'Otsu. Dans les bois, Takezo fait une autre rencontre : Kohei Tsujikasé du village Fuwamura (frère de Tenma tué par Takezo).


Avec ce deuxième tome, le lecteur prend pleinement conscience de la nature de la narration de Takehiko Inoué : il prend le temps qu'il juge nécessaire pour chaque scène. Ainsi, Matahachi est absent de ce tome, il n'est qu'évoqué à 2 ou 3 reprises par Otsu et Osugi. Pourtant le lecteur familier du récit "La pierre et la sabre" sait qu'il s'agit de l'un des personnages principaux.


Du même point de vue, l'auteur accorde le nombre de pages nécessaire pour ne laisser planer aucun doute sur le caractère et le profil psychologique de Takezo. Le lecteur a le droit à plusieurs pages d'affrontements brutaux, ne laissant planer aucun doute sur la détermination et les convictions du personnage. Le lecteur doit avoir conscience qu'il n'est qu'au tout début d'un récit très long dont l'enjeu principal n'est pas l'intrigue, car l'histoire est connue de la majeure partie des lecteurs japonais.


Cette histoire constitue surtout le récit du cheminement intérieur de Takezo, de sa maturation à partir d'un adolescent fougueux et rageur, vers un individu adulte. Ainsi lorsque Takezo se retrouve attaché à un arbre pendant une quarantaine de pages, ce n'est pas par manque d'inspiration de l'auteur. Ce dernier insiste sur ce moment clé. Il n'a pas duré qu'un seul instant ; il s'agit d'un frémissement de prise de conscience du personnage qui n'a d'autre choix que de réfléchir à sa situation et à son mode de vie.


Ce tome montre donc l'amorce de cette évolution. Takehiko Inoué met en scène de2 éléments pour poser la psychologie de Takezo : (1) sa relation avec son père et sa mère durant l'enfance, (2) la rencontre avec le moine Takuan. Pour ce qui est de l'amour parental, Takezo n'a pas été gâté. Takehiko Inoué n'y va pas avec le dos de la cuillère et cette dimension de l'histoire du personnage manque de subtilité. L'auteur établit un lien direct et sans nuance entre le manque d'amour maternel et le dégoût de soi, la rage de détruire, le comportement autodestructeur. C'est d'un seul tenant, massif, sans expérience qui vienne apporter une autre facette au personnage.


Il en va tout autrement de Takuan et de son comportement. Il s'agit d'un personnage historique, une figure majeure de l'école Rinzai-shu de bouddhisme zen. Il n'est pas historiquement établi qu'il ait servi de mentor à Takezo. Le lecteur découvre un personnage sûr de lui, perspicace, qui en impose (mais rarement par la force), et qui dispense une sagesse réelle (pas du New Age prêt à penser). L'enjeu de la narration devient alors de rendre cet individu crédible et de faire prendre conscience au lecteur de ce qui est en train de se jouer, sans l'assommer d'explication, sans le prendre pour un idiot.


Ce sont les qualités impressionnantes de narrateur de Takehiki Inoué qui lui permettent de montrer les faits, et de laisser apparaître les intentions, les conflits d'opinions. Sous réserve de connaître le thème principal du récit (l'éveil intérieur), le lecteur peut alors contempler Takezo confronté à plus fort que lui (au sens littéral), mais sur la base de qualités bien différentes de la force brute, de l'adresse aux armes, ou de la fureur.


La nature de ce récit réside donc dans une réflexion sur l'individu, sur ses aspirations, sur ses valeurs. Pour autant, Takehiko Inoué refuse tout discours philosophique, toute péroraison, même au travers de ses personnages. Il préfère montrer au travers des comportements et des caractères. Le lecteur n'éprouve jamais la sensation de glisser dans une thèse philosophique. Il lit bien une histoire sous forme d'aventure, avec un grand soin apporté à la reconstitution historique, et des personnages complexes aux motivations diverses et accessibles.


En outre, la série Vagabond reste avant tout une bande dessinée d'une qualité visuelle époustouflante. Takehiko Inoué a choisi son rythme de publication (relativement lent au regard des rythmes de parution des mangas), et ses planches regorgent de détails, sans en devenir illisibles. Le lecteur découvre des pages à l'opposé de 3 cases avec le buste d'un personnage dedans, et des traits de mouvement pour masquer l'absence d'arrière-plan.


Pour commencer, le dessinateur se montre exigeant avec lui-même en ce qui concerne l'authenticité des vêtements, qui vont du kimono grossier de Takezo, à celui richement décoré du seigneur Aoki. Cette exigence et cette minutie s'appliquent également aux bâtiments, avec une magnifique représentation extérieure de la maison d'Osuhin Hon'Iden. Le lecteur peut en apprécier une vue générale prise de l'extérieure, comme le détail des lattes du plancher, en passant par les particularités de construction propres à cette époque.


Tout aussi appréciable, est l'application avec laquelle le dessinateur s'attache à représenter la nature et les textures. Il peut s'agit de l'impression de rugosité de la corde avec laquelle Takezo est suspendu à l'arbre, comme du reflet métallique de la cloche sonnée par Otsu.


Takehiko représente comme personne les aspérités d'un tronc d'arbre, ou un tapis de feuilles mortes. Il ne s'agit pas d'une obsession graphique prenant le dessus de la narration, il s'agit plutôt de faire prendre conscience au lecteur de l'importance de l'environnement dans lequel évolue Takezo. Au fil des pages, il apparaît également que la présence de la nature ne se limite pas à la flore. Autour de Takezo, la faune vit, apportant ainsi un contrepoint à ses actions, qu'il s'agisse d'un papillon prenant son envol fragile, d'une araignée tissant sa toile, de fourmis progressant laborieusement, ou de corbeaux attirés par la charogne.


Avec ce deuxième tome, le lecteur contemple la personnalité de Takezo Shinmen, observe l'ampleur de sa sauvagerie, découvre ses traumatismes et voit apparaître un individu ayant déjà effectué un gros travail sur lui-même qui semble plus fort que Takezo ne le sera jamais. Le lecteur évolue dans le même environnement que Takezo, en appréciant les sensations générées par la faune et la flore. Il voit que ce récit ne se limite pas à un simple défi pour Takehiko Inoué d'adapter un classique de la littérature japonaise. Dès ce tome, il devient apparent que pour l'auteur, cette série "Vagabond" constitue pour lui le moyen de se parfaire, de continuer son cheminement intérieur d'artiste, de devenir un être humain meilleur, la volonté de progression de Takezo se confondant avec celle de l'artiste et devenant celle du lecteur.

Presence
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le 10 juin 2019

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