Ce tome est le vingt-cinquième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, sa prépublication s'effectue dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Ce tome contient les chapitres 216 à 224. Il comprend une liste exhaustive des noms des personnages apparus dans les précédents, chacun accompagné d'une ou deux phrases synthétiques les présentant.


Le duel entamé dans le tome précédent se poursuit et se conclut. Les enjeux pour Denshichiro Yoshioka et pour Miyamoto Musashi sont de nature très différente. Leurs tactiques pendant cet affrontement différent également, Yoshioka imposant le rythme du combat.


À l'issue du duel, le temps est venu pour le dojo Yoshioka d'en tirer les conséquences et de se réorganiser, de définir leur position par rapport à Musashi. Ce dernier déambule dans les rues de Kyoto où il croise Matahachi Hon'Iden. Ils vont boire un coup ensemble.


Durant les 3 premiers chapitres, l'auteur donne au lecteur ce qu'il attend : le duel en bonne et due forme entre Musashi Yoshioka, annoncé depuis le tome 3 (soit il y a plus de 20 tomes). Évidemment le lecteur a déjà une bonne idée de qui en ressortira vainqueur puisque cette série est dédiée au personnage de Miyamoto Musashi. En outre il connaît déjà une partie de la fin de l'affrontement, montrée en ouverture du tome 21. Enfin l'étrange oubli de Musashi en fin de tome précédent (charger sans avoir dégainé son sabre) donnait une bonne idée du niveau relatif des 2 combattants. Pourtant ce duel est passionnant et plein de suspense de bout en bout.


Plus encore que les précédents, ce combat offre une image de l'état d'esprit des 2 personnages, et de ce qui se joue pour eux sur un plan personnel et même intime. Musashi se fait la réflexion qu'une année s'est écoulée depuis leur prise de rendez-vous pour ce duel, et que chacun d'entre eux a parcouru un chemin, a évolué, n'est plus le même. Bien sûr ce duel est tel que le lecteur l'a imaginé : phases d'observations et coups rapides portés avec force. Les dessins montrent des visages fermés et farouches. Lorsque les bretteurs portent un coup, il y a de nombreuses lignes de mouvement, pour souligner la soudaineté du geste et sa force. En surface ce duel est conforme à tous les codes et clichés visuels attendus. À la fin le vainqueur clame haut et fort "C'est moi le vainqueur" pour établir le sens de cet affrontement, pour lui donner du sens : tuer et être le plus fort.


Dans son déroulement le lecteur prend conscience qu'il en apprend encore sur les motivations de Denshichiro Yoshioka, sur la nature de son être. Il ne s'agit pas d'une ultime révélation sensationnelle qui apporte un éclairage définitif sur le personnage, il s'agit plutôt d'une ou deux touches supplémentaires venant compléter le portrait déjà dressé. Au cours de l'affrontement, le lecteur remarque à 2 reprises une phrase qui semble répéter ce que montre le dessin, chose inhabituelle dans la narration de Takehiko Inoué. Au fur et à mesure que Yoshioka avance pour porter une botte, il se motive en se répétant intérieurement qu'il doit avancer. Il est possible d'y voir une métaphore sur le fait que d'avancer vers son adversaire, c'est aussi avancer dans la vie, progresser dans l'existence, aller dans le sens de l'amélioration.


De la même manière Yoshioka s'incite à avancer vers son adversaire pour réduire la distance qui les sépare. Là aussi il est possible d'y voir une métaphore, celle de réduire la distance qui sépare leur niveau de bretteur. En avançant sur Musashi pour l'affronter, Denshichiro Yoshioka progresse en tant que bretteur en restant encore en vie. La mise en scène de ce combat est passionnante sur le plan visuel. Entre chaque coup porté, l'auteur s'attarde sur les visages des combattants, et intercale quelques plans sur des spectateurs bien choisis comme Otsu. Il ne s'agit pas de respirations artificielles, mais d'un autre regard qui constate le décalage de vécu entre la vie intérieure des 2 combattants, et le vécu émotionnel des autres. Bien sûr, Osugi Hon'Iden est toute entière dans l'attente du coup fatal qui tuera Musashi. Otsu de son côté, refuse de regarder l'affrontement, un comportement inattendu et révélateur de son état d'esprit.


Après ce duel vient le temps des conséquences. Au fur et à mesure de la progression de l'intrigue, celles-ci prennent une tournure plus complexe. L'auteur ne tire pas du chapeau, des rebondissements spectaculaires. Au contraire, il montre ces conséquences comme s'inscrivant dans les relations décrites précédemment, comme découlant d'une progression organique. Ainsi l'importance prise par Ryohei Ueda n'est pas soudaine ou parachutée. Elle est la conséquence logique de la situation antérieure.


Dans ce tome, l'auteur consacre également deux chapitres et demi à la rencontre fortuite entre Miyamoto Musashi et Matahachi Hon'Iden (également connu sous le nom de Kôjiro - avec un accent circonflexe - Sasaki). Le lecteur retrouve le temps de quelques cases l'usage intempestif des expressions déformée du visage de Musashi (deformed, pas super-deformed), à des fins comiques. Mais une fois attablés pour boire un coup, les 2 amis reprennent un langage corporel plus naturaliste. Son état d'ébriété allant en s'aggravant, Matahachi s'écoute parler face à Musashi serein. Il est impossible de présager du cheminement de la pensée de ce dernier, par contre les postures adoptées par Matahachi sont aussi justes qu'expressives.


Loin de mépriser ce personnage ou de le réduire au rôle de bouffon pitoyable, Takehiko Inoué établit une direction d'acteur remarquable, faisant passer les différents émotions de Matahachi, entre dégoût de soi, auto-apitoiement, résignation, plaisir de se remémorer de bons souvenirs, désinhibition due à l'alcool, colère, etc. Alors que Matahachi se lance à nouveau dans une tirade (à l'instar de celle devant Kojiro Sasaki en début du tome 23) face à Musashi peu loquace, le lecteur n'a aucune peine à croire à la plausibilité de son comportement, tout à fait dans son caractère. L'artiste compose un portait naturaliste, avec cet individu un peu amoché (un beau coquard entre autres), buvant par habitude (fait établi depuis de nombreux tomes), appuyant sa tête sur une de ses mains pour diminuer la douleur, puis se cachant de plus en plus le visage derrière cette main, dans un mouvement naturel, pour ne pas voir le regard de Musahsi.


Matahachi exprime donc toute sa rancœur et sa jalousie vis-à-vis de son ami d'enfance. À nouveau, son acrimonie génère une forme d'empathie chez le lecteur grâce à une image forte. Dans le chapitre 221, le lecteur voit les 2 amis jeunes adolescents allongés sur le dos dans l'herbe, contemplant le ciel, dans un moment de détente partagée. Dans le chapitre 222, il y a cette image de Matahachi courant après Takezo pour essayer de le rattraper. Le lecteur se souvient alors des tomes précédents dans lesquels Matahachi Hon'Iden a fait le constat que même en s'y mettant de toutes ses forces, il ne serait jamais l'égal de Musashi, et que, plus cruel encore, Kojiro Sasaki l'est déjà. Cette image se révèle alors être d'une grande cruauté, représentant la distance qui sépare Matahachi de son ami, qui l'en a toujours séparé, et l'impossibilité pour lui de jamais le rattraper. C'est tout l'échec de la vie de Matahachi. En même temps, ce dernier est toujours vivant et il ne consacre pas sa vie à tuer comme le fait Musashi.


Ces images concrétisent toute la force de l'auteur complet qu'est Takehiko Inoué. Il y en a une autre exprimant une toute la subtilité de la relation entre Musashi et Otsu. Dans le tome 23, Musashi s'était mis à peindre sur du papier en n'utilisant que de l'eau et pas d'encre, occupation pour le moins indéchiffrable. Dans ce tome il représente le profil d'Otsu, à nouveau à l'eau. Ce mode de peinture diaphane et éphémère représente la prise de conscience de Musashi que l'image qu'il se fait d'Otsu en tant que personne n'est qu'un vieux souvenir, déformé par la mémoire et le temps qui passe, et nourrit par l'idée qu'il se fait de sa vie depuis. Il s'agit d'une image bien pâle, éloignée de la réalité, et sans grande consistance, comme le dessin qu'il réalise à l'eau. Un dessin vaut mille mots, et ici sous la plume et l'encre de Takehiko Inoué, il représente une idée complexe et subtile.

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le 14 juin 2019

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