Ce tome est le vingt-huitième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, sa prépublication s'effectue dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Ce tome contient les chapitres 243 à 251. Il comprend une liste exhaustive des noms des personnages apparus dans les précédents, chacun accompagné d'une ou deux phrases synthétiques les présentant.
Dans un temps qui n'est vraisemblablement pas le présent, Kojiro Sasaki est en train de se payer du bon temps avec une prostituée qui s'amuse à lui mettre une rainette sur le ventre pour jouer sur le contraste chaud (de la peau) et froid (de la grenouille). Survient un individu qu'elle appelle Tsujikazé (sûrement Kohei).
Au temps présent, juste après l'affrontement de Miyamoto Musashi contre les 70 hommes du clan Yoshioka, Musashi se remémore une bribe de souvenir ayant trait à son père. Puis il reprend connaissance dans une chambre. Entrent d'abord Otsu, puis Jotaro, et enfin Takuan Sōhō. Ce dernier lui explique comment il est arrivé là. Matahachi l'a retrouvé non loin du champ de bataille, inconscient, couché face contre terre sur le sol recouvert de neige.
Après cette bataille à proximité du pin aux branches tombantes, le lecteur sait qu'il s'apprête à découvrir le prix à payer par Miyamoto Musashi pour cette longue bataille insensée. Il se doute qu'elle va provoquer une réflexion chez le vainqueur quant au carnage et à la perte en vies humaines. Comme à son habitude, l'auteur le prend au dépourvu avec un chapitre introductif établissant une coïncidence propre au feuilleton d'aventures. Sasaki avait également croisé Kohei Tsujikazé que Musashi a affronté dans le tome 13. Mais l'intérêt de cette séquence se trouve ailleurs que dans cette rencontre qui renforce la connectivité de la toile d'araignée qui relie tous les personnages. A nouveau, un bretteur émérite trouve le réconfort dans les bras d'une femme. Celle-ci joue avec un animal (une grenouille). Il y a là 2 motifs récurrents. Le premier concerne la place dévolue aux femmes dans ce récit : fille de joie, repos du guerrier, pas beaucoup de personnalité. Le deuxième est relatif au règne animal. Le lecteur se doute que la rainette reviendra dans des séquences suivantes et que sa signification métaphorique s'en trouvera éclairée. Etrangement elle revient avec Jotaro qui s'amuse à en appâter une avec une araignée. Cette notion d'appât et de contraste chaud/froid semble s'appliquer à la relation homme/femme, l'opposition (ou la complémentarité) entre un individu dur tout entier à sa raison de vivre (le sabre), et un individu compréhensif (c'est ainsi que les femmes apparaissent, à l'exception d'Osugi Hon'Iden) prêt à s'ouvrir à la l'autre.
Encore qu'Otsu ne se conforme pas à l'image des femmes déjà apparues dans la série. Elle est timide et réservée, prévenante et bienveillante, indépendante, et opposée au mode de vie de Musashi. Elle ne regardait pas le combat contre les 70, même si elle était présente, et dans ce tome, elle souhaite confronter Takezo Shinmen à la fin inéluctable d'un rônin se battant jusqu'à ce que mort s'en suive. L'artiste la représente comme une jeune femme à la morphologie normale, peut-être fluette, cachée par son large kimono. Il n'y a pas de sexualisation du corps d'Otsu. Elle apparaît avant tout comme un individu, avant d'être sexuée. Ses gestes sont mesurés, sa posture est respectueuse, sans pour autant qu'elle n'en devienne soumise.
Lors du chassé-croisé un peu malhabile dans la chambre où repose Musashi, elle se cache de Matahachi comme s'il était inconvenant (ou peut-être risqué) qu'elle se retrouve seule avec lui. Elle se conforme à la place des femmes dans la société, mais en même temps elle dispose de son langage corporel propre, d'une assurance dans sa posture. Il ne s'agit pas d'une femme passive, mais d'un individu doué d'autonomie, qui envisage sa vie autrement qu'inféodée à un sabreur émérite allant de combat en combat. La réapparition d'Osugi Hon'Iden rappelle qu'il existe une autre figure féminine dans le récit. L'artiste l'avait décrite comme un démon dans la première partie du combat contre Denshichiro Yoshioka, ici elle apparaît comme la voie de la sagesse. Son visage exprime toujours une émotion intense contre Musashi (une forme de haine), tout en développant des arguments raisonnés (Qui peut être assez malade dans sa tête pour assassiner 70 êtres humains d'affilée ?).
Ce chapitre (numéro 249) où Osugi Hon'Iden clame le comportement anormal de Musashi est également l'occasion de retrouver des personnages pas vus depuis plusieurs tomes. Assez facétieux, Takehiko Inoué ne les nomme pas, charge au lecteur de faire un effort de mémoire. L'objet du chapitre 249 est de montrer que les actions de Miyamoto Musashi ont des conséquences et que la nouvelle de l'extermination du clan Yoshioka par un seul homme se répand dans tout le pays. Gentiment, l'auteur mentionne le nom du clan des Yagyu pour qu'on puisse identifier Yozo Murata (vu la dernière fois dans les tomes 10 & 11, mais si ! souvenez-vous). Une fois ce petit effort effectué, reconnaître de dos Hyogonsuke Yagyu est un jeu d'enfant. Du fait de son apparence visuelle plus caractéristique, il est plus facile de se rappeler du moine Inshun.
Takehiko Inoué se montre tout aussi facétieux dans le séquençage des chapitres 244 à 248, en ne respectant pas l'ordre chronologique, sans l'indiquer. Il appartient au lecteur de remettre les événements dans l'ordre en fonction de qui se trouve ou non dans la pièce. C'est un petit peu déstabilisant au départ, mais le lecteur comprend que l'enjeu pour le narrateur était d'expliquer comment Miyamoto Musashi a pu se retrouver dans cette pièce du temple Kompukuji. A nouveau l'auteur emprunte des conventions du théâtre pour mettre en scène les soliloques, Otsu se cachant de Matahachi dans une pièce où il n'y a aucun endroit où se soustraire au regard. Le lecteur est donc prié de croire qu'elle peut se glisser sous le drap recouvrant Musashi en espérant ne pas être vue par Matahachi. L'enjeu narratif est que ce dernier puisse parler tout à voix haute comme s'il s'adressait à lui-même pour influencer Otsu. En termes visuels, c'est ridicule et impossible à croire.
Le lecteur éprouve donc la surprise de constater que l'auteur s'attache à une conséquence du combat qui n'est pas celle attendue (c’est-à-dire pas le coût psychologique). C'est un peu déconcertant, mais cela confirme que le scénariste dispose d'une vision d'auteur. En outre la conséquence développée découle directement du combat mené et elle doit être gérée en priorité. Il s'agit de la santé physique de Musashi, un problème qui pourrait bien l'empêcher de combattre à nouveau. Même si le lecteur connait déjà la suite de l'histoire (soit il a lu le roman d'Eiji Yoshikawa, soit il connaît le personnage historique), il y a quand même une forme de suspense sur la gravité de la blessure. En outre, elle fait apparaître que quel que soit le niveau technique atteint par Musashi, il reste à la merci d'une circonstance extérieure qu'il ne peut pas maîtriser. Finalement son excellence d'épéiste ne le met pas à l'abri de contingences matérielles, indépendantes de sa volonté. C'est également l'occasion pour Takuan Sōhō de le questionner sur la volonté du Ciel, sur l'existence d'une force ou d'un destin déjà écrit, que même la volonté de Musashi ne pourrait pas contrecarrer.
Comme dans le tome 23, Takehiko Inoué consacre plusieurs scènes à Matahachi Hon'Iden. Il se retrouve ici dans une position étrange, où il est le sauveur de Takezo Shinmen, où il n'est plus un imposteur car tout le monde connaît sa véritable identité, où il est à nouveau confronté à son manque de compétence, et son inutilité. Il est toujours aussi intrigant de découvrir comment l'auteur construit ce personnage pour en faire émerger des facettes imprévisibles. En cohérence avec son comportement dans les tomes précédents, il reste très sensible à l'image que les autres se font de lui, à l'image qu'ils lui renvoient. Cette forme d'empathie mine sa confiance en lui, mais elle lui permet également d'ajuster son comportement. Le lecteur apprécie de découvrir comment Matahachi se conduit avec Otsu qui fut sa promise.
La force de la narration de Takehiko Inoué provient également de son excellence en tant qu'artiste. Les décors, les tenues vestimentaires, les maisons, la flore n'ont rien perdu en réalisme. Il y a bien sûr une ou deux cases consacrées à des sandales en corde tressée. Outre la rainette, le lecteur voit passer un papillon, quelques corbeaux et d'autres oiseaux. Il a choisi une nouveau mode de dessin pour les 2 étranges séquences évoquant le souvenir fragmentaire de Takezo Shinmen se rapportant à son père. Il peint au pinceau, avec une encre un peu délavée, donnant des traits gris, évoquant la peinture à l'eau de Musashi dans un tome précédent.
La direction d'acteur de l'auteur est impeccable, y compris pour les scènes les plus difficiles, comme les longs soliloques de Matahachi Hon'Iden. Il s'agit bien d'un monologue relevant d'un dispositif de théâtre, mais il est justifié par l'état alcoolisé du personnage. Chapitre 248, le lecteur lit sur le visage l'intensité de l'émotion qui traverse Matahachi, alors qu'il écoute battre le cœur de Musashi, l'oreille collée sur sa poitrine. Cette scène se suffit à elle-même. Il y a un bref écho dans le chapitre 249 quand l'artiste dessine 2 cœurs ensanglantés sur un sol en terre. Toujours en termes visuels, Takehiko Inoué revient sur la distance qui sépare Takezo et Matahachi, en la mettant en scène alors qu'ils étaient enfants, et que Matahachi se souvient surtout de son copain de dos.
Après le carnage des 2 tomes précédents, l'intensité dramatique ne faiblit pas. L'auteur s'attache à l'une des conséquences du combat, tout en continuant à développer le personnage de Matahachi, à évoquer les émotions et les souhaits d'Otsu, sans oublier les répercussions d'une telle victoire à l'échelle du Japon.