Est-ce pour cela que le sabre, le maniement des armes existent ?

Ce tome est le septième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, elle paraît en prépublication dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche.


C'est la veille du grand jour : demain, Musashi affronte Inshun pour la deuxième fois. Musashi laisse ses pensées vagabonder alors qu'il taille un morceau de bois, pour une petite sculpture de forme démoniaque. Il repense à ses blessures lors du premier combat, à son père, à Otsu. Pendant ce temps-là Inshun médite.


Le lendemain, le combat s'engage, en présence d'In'Ei Kakuzenbo et d'Agon. Ailleurs Togi Gion se présente au seigneur Shekishusai Yagyu. À cette occasion, ce dernier se remémore sa propre jeunesse, et sa rencontre avec Hidetsuna Kamiizumi, qui fut également le maître d'In'Ei Kakuzenbo.


Ce combat entre Musashi et Inshun était annoncé dès le tome précédent, le lecteur sait donc qu'il va assister à ce match retour, sans avoir vu Inshun se préparer d'avantage, sans avoir réellement vu Musashi prendre de leçon de sabre auprès d'Inei. Takehiko Inoué est toujours tenu de respecter l'intrigue de "La pierre et le sabre", mais en plus il doit mettre en scène un affrontement clé dans la progression de Miyamoto Musashi.


En termes narratifs, l'enjeu s'avère complexe et mal aisé. L'auteur doit montrer que cet affrontement se joue avant tout sur un plan spirituel. Du coup, le lecteur tombe sur un face-à-face qui s'éternise, où les 2 combattants se jaugent, sans bouger, sans parler, juste en s'observant. Il s'en suit une alternance de champs et contrechamps hypnotisant, mais très statiques, avec des visages fermés et immobiles.


Afin de contrebalancer cet immobilisme peu attrayant d'un point de vue visuel, l'auteur entrecoupe cette longue période d'observation (à la fin de ce volume, le duel n'est pas terminé), par des souvenirs, et par une séquence consacrée à Toji Gion. L'intelligence de la narration réside dans le fait que ces séquences intercalées viennent apporter des éléments fournissant un autre point de vue sur l'enjeu de cette période d'observation.


Au travers des séquences consacrées aux souvenirs de Shekishusai Yagyu, puis d'In'Ei Kakuzenbo, le lecteur assiste à un déroulement de la même scène : des jeunes sabreurs souhaitant découvrir le secret de l'art du sabre auprès d'un grand maître. Hidetsuna Kamiizumi leur promet de leur révéler ce secret (et Takehiko Inoué tient promesse dans le présent tome).


D'un côté le lecteur voit 3 apprentis sabreurs se heurter aux limites de leur apprentissage, voulant encore évoluer, mais sans réussir à concevoir, ou à appréhender l'obstacle qui bloque le chemin de leur progression. De l'autre côté, il contemple la propre attitude de Musashi, traçant son propre chemin, à l'écart des méthodes d'apprentissage conventionnelles.


Comme dans le tome précédent, Miyamoto Musashi préfère la solitude, et reste à l'écart dans les bois. Grâce aux dessins méticuleux, le lecteur peut apprécier ses pieds nus, la texture des écorces, les tapis de feuilles, la pluie battante, l'apparition d'un loup sauvage (une métaphore). L'auteur ne montre pas le dénuement de Musashi comme une forme de pauvreté, mais comme une forme de contact direct avec la nature. Il n'y a pas de sous-entendu animiste, mais plutôt un sous-entendu sur l'absence de superflu, d'artifice qui s'interposerait entre Musashi et la réalité concrète de l'environnement.


Ce dénuement permet à Musashi de se concentrer sur l'essentiel, de focaliser son introspection sur ses certitudes, ses doutes, ses capacités, ses motivations, de laisser affleurer ses souvenirs à demi-conscients. Ainsi l'apparition de son père et les phrases qu'il prononce ne sont pas à prendre comme la manifestation d'un fantôme, mais plus comme la remontée de souvenirs marquants qui se sont durablement imprimés dans la mémoire, qui ont été déterminants dans la construction de la personnalité de Musashi.


Le dessinateur ne souhaite pas magnifier le milieu naturel ou l'enjoliver. Ces bois ne grouillent pas d'animaux qui s'approcheraient sans crainte de Musashi. Cela reste bien une description naturaliste, dans laquelle la manifestation de la faune s'apparente à des symboles (le loup, l'araignée et sa toile, le faucon). De la même manière, les tenues vestimentaires sont dessinées avec une volonté d'exactitude historique.


Ce tome comprend moins de dessin pleine page ou double page qui épate le lecteur. Il en subsiste quelques-uns comme cette vision en plongée sur Musashi, pendant l'averse (très bel effet de structuration de la composition, avec les traces des gouttes d'eau en train de tomber), ou encore ce dessin panoramique sur le hameau où réside Shekishusai Yagyu.


Du fait de la diminution de dessins à couper le souffle, l'attention du lecteur se reporte sur le découpage des séquences. Il reste bouche bée devant ce dessin en double page montrant la voute céleste, visible sans obstacle, sans arbre venant boucher la vue. Dans le fil de la narration, cette image vient illustrer la compréhension qui fait jour dans l'esprit de Musashi, une forme d'ouverture d'esprit.


Dans le même ordre d'idées, le lecteur prend conscience que Takehiko Inoué rythme sa narration visuelle avec des plans gros plans de plus en plus rapprochés de Musashi. Cela correspond au fait que Musashi occupe de plus en plus de place dans l'esprit d'Inshun, au fur et à mesure que ce dernier prend conscience de sa présence, du degré d'acuité avec lequel il est observé.


Takehiko Inoué continue de montrer les évolutions psychologiques et la maturation des personnages, sans recourir ni aux bulles de pensée, ni aux cellules de texte explicatif. Cela demande une forme d'observation et d'anticipation de la part du lecteur. C'est à lui de s'interroger sur le sens de ce qu'il voit, sur le cheminement de la pensée des personnages. L'auteur guide le lecteur en mettant en scène ce franchissement d'obstacle sur la voie de la sagesse, au travers de plusieurs personnages. Le lecteur peut ainsi mieux prendre conscience de la nature de cette épreuve que chaque apprenti bretteur doit surmonter à sa manière.


Cette répétition de l'épreuve au travers de 2 générations successives évoque également une forme de cycle se répétant. Alors même que Musashi souhaite dépasser son père, il se trouve à marcher dans ses pas, à se confronter aux mêmes défis.


Alors que dans les tomes précédents, le lecteur pouvait ressentir une forme de frustration à ne pas voir les leçons données par In'Ei, il découvre au travers d'une séquence ce maître confier à Agon, son plus grand regret en tant que pédagogue : de ne pas avoir réussi à transmettre ce que lui a transmis son propre maître Hidetsuna Kamiizumi. Mieux encore, Takehiko Inoué transcrit de manière explicite ce secret : " mon sabre ne fait qu'un avec l'univers, je peux m'en passer". Il s'agit d'une phrase qui ne commence à prendre un sens que dans le contexte du récit.


Avec ce septième tome, Takehiko Inoué doit à nouveau se confronter à un exercice de narration des plus périlleux. Le temps est venu de mettre en scène le deuxième affrontement entre Inshun et Musashi, avec comme enjeu de faire comprendre au lecteur ce qui se joue vraiment, sans s'aider de béquilles narratives comme des inserts de texte. L'auteur y parvient grâce à des dessins toujours aussi minutieux et une mise en scène rigoureuse et savamment pensée. Par contre, il n'arrive pas à dépasser le modèle stéréotypé des 2 combattants en train de sa jauger sans bouger, des pages durant. 10 étoiles pour un manga hors du commun, 9 étoiles pour un tome n'arrivant pas au niveau des précédents.

Presence
10
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le 11 juin 2019

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