Ce tome est le neuvième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, elle paraît en prépublication dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Il comprend les chapitres 79 à 87.


Miyamoto Musashi a repris la route pour se rendre à la demeure des Yagyu, afin de se confronter à Sekishusai, l'un des sabreurs les plus réputés du pays. Il est à nouveau accompagné de Jotaro, un jeune adolescent. Juste avant d'arriver à destination, ils s'arrêtent dans une maison de bains, où Musashi entame la conversation avec un samouraï au calme aussi imposant que le sien.


Dans la demeure des Yagyu, Otsu continue de s'occuper de Sekishusai. Ce matin-là elle lui remet une lettre de Hyogonosuke (le petit-fils préféré de Sekishusai) qui annonce son retour et qu'il va séjourner quelques temps au dojo.


Le lecteur a maintenant bien assimilé le cycle du récit : après s'être battu contre un adversaire, Miyamoto Musashi se dirige vers le suivant, persuadé qu'il lui suffit d'affronter un nouveau sabreur pour devenir plus fort. Le tome commence de manière bucolique avec Musashi et Jotaro cheminant gaiment dans la forêt. La bonne humeur reste de mise alors qu'Otsu apporte la bonne nouvelle à Sekishusai Yagyu. Au dojo, les esprits sont plutôt satisfaits du haut niveau des meilleurs disciples : Kizaemon Shoda (formateur), Yozo Murata (palefrenier), Magobei Debuchi (chef des fantassins), et Sukekuro Kiumuro (préposé aux entrepôts).


Le lecteur a bien compris que cette présentation lui indique qu'il doit mémoriser les noms de ces personnages qui joueront un rôle important dans les chapitres à venir. Il ralentit donc un peu sa lecture pour laisser son esprit assimiler ces présentations, et il en profite pour laisser ses yeux se repaître des images. À nouveau Takehiko Inoué et ses assistants ont investi beaucoup de temps pour reconstituer chaque lieu et chaque tenue vestimentaire.


La dimension picturale de ce manga est à nouveau exceptionnelle quelle que soit la page à laquelle on ouvre ce tome. Page 5, le lecteur peut observer les dalles qui marquent le sol de la route, au milieu de la forêt. Juste la case en dessous, il apprécie la texture des lattes de bois constituant le plancher d'un pont à la japonaise enjambant une petite rivière. Il tourne la page, et il contemple avec plaisir les motifs sur le kimono d'Otsu. Sur la page suivante, il admire la façon dont a été représentée la cime des arbres, reproduisant avec exactitude l'impression qu'elle produit sur la rétine.


La narration visuelle dans les mangas comporte beaucoup plus de juxtaposition de cases sans lien de cause à effet, ne constituant pas des vues figées successives dans une action, que dans des bandes dessinées occidentales. L'artiste attire ainsi l'attention du lecteur sur un élément de l'environnement révélateur d'une composante dont l'importance est laissée à l'appréciation de la perspicacité du lecteur, ou d'une association d'idée se matérialisant dans l'esprit du protagoniste.


À l'occasion de ces cases détachées de l'action, le lecteur peut également se repaître de magnifiques représentations. Comme dans les tomes précédents, le manga comporte plusieurs cases consacrées à l'architecture d'un bâtiment, ou à un détail de ses façades ou de son toit. À chaque fois, ces éléments du bâti sont représentés avec une minutie maniaque, digne d'un ouvrage d'histoire, l'occasion pour le lecteur d'assouvir sa faim d'exotisme et de découverte. Il peut même éprouver la sensation de faire du tourisme à caractère culturel en contemplant un portique de temple ou les marches permettant d'accéder au portail du mur d'enceinte du château des Yagyu (page de titre du chapitre 86).


La nature bénéficie de ce même degré de précision de représentation. Il peut s'agir de l'écorce des arbres bordant la route dallée, où le lecteur peut reconnaître 2 essences différentes. Il peut également s'agir d'une pivoine représentée avec une exactitude digne du niveau d'exigence d'un manuel de botanique.


Ce degré de précision dans la représentation n'entrave en rien la fluidité de la narration. La finesse des traits permet aux artistes de conserver une lisibilité parfaite (grâce aussi à une bonne qualité d'impression). Takehiko Inoué dose avec intelligence le nombre de mots par page. Aussi le lecteur peut très bien adopter un rythme de lecture rapide, ne retenant que l'impression générale dégagée par les dessins, sans s'embarrasser des détails. Il peut aussi décider de consacrer plus de temps à sa lecture, de s'attarder sur les cases plus denses en informations visuelles, profiter de l'incroyable reconstitution, et savourer la manière dont l'auteur guide son regard, pour des planches très vivantes.


Le très haut niveau de qualité permet donc au lecteur de s'immerger complètement dans cette époque, cet endroit, et d'avoir l'impression d'être à côté des personnages (être dans la même cuve à bain que Musashi produit une impression mitigée).


Côté intrigue, le lecteur retrouve également cette utilisation des coïncidences bien pratiques. Musashi arrive juste au moment où Denshichiro Yoshioka s'en va. Jotaro rencontre comme par hasard Otsu, alors que cette dernière ne croise pas Takezo. Ce dernier se retrouve à prendre un bain au même endroit et au même moment que Hyogonosuke Yagyu, etc. Ce mode narratif fait penser aux coïncidences bien pratiques qui peuvent exister par exemple chez Molière. Elles sont déjà présentes dans l'œuvre originale d'Eiji Yoshikawa, et l'adaptation n'a pas d'autre moyen que de les conserver.


Le lecteur a également du mal à se défaire de cette impression de niveaux : Musashi a vaincu un adversaire, il a assez de points d'expérience pour passer au niveau supérieur comme dans un jeu vidéo. Toutefois, dans ce nouveau niveau, le lecteur voit immédiatement que le déroulement va être sensiblement différent du niveau précédent avec Inshun. Ce n'est pas seulement parce qu'il y a plus d'adversaires (les 4 meilleurs disciples), c'est aussi parce que la situation est plus complexe.


Au-delà des coïncidences pratiques et de l'idée simpliste de Musashi de progresser en affrontant des sabreurs toujours plus forts, Takehiko Inoué montre toute la complexité de la situation entre le vieux maître, le petit fils désirant lui aussi progresser dans l'art du sabre, les élèves apprenant pour l'amour de l'art, et même les initiatives de Jotaro.


Le lecteur constate par lui-même que cette nouvelle étape (ce nouveau dojo/château) va exiger de Musashi de franchir un nouveau palier, et pas forcément dans la technique de maniement des armes. En termes d'apprentissage, le lecteur n'assiste toujours pas à celui du maniement des armes par Musashi. Par contre, comme dans le tome précédent, l'auteur met en scène cet apprentissage par différents individus à différents âges.


Ainsi le lecteur voit Jotaro développer des prémices de sa vocation. Il voit les 4 disciples en train de s'entraîner, et il voit le vieil homme qu'est devenu celui qui fut la plus fine lame du pays. Cette coexistence de ces différents âges au sein d'un espace restreint répond au thème du cycle présent dans le tome précédent, comme si la génération suivante répétait les mêmes gestes que la précédente.


La dernière séquence montre que Musashi parvient à progresser vers le but qu'il s'est fixé, non pas en se battant, mais en observant et en usant de ruse. Il adopte donc un comportement à l'opposé de la bestialité qui jusqu'ici faisait sa force. De ce point de vue, le lecteur constate que Musashi a en face de lui des individus plus sages que lui, puisqu'ils refusent un combat sans raison, et esquivent adroitement les provocations grossières de Musashi pour les y contraindre.

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le 11 juin 2019

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