Varions les décors. Achille et Lefuneste se retrouvent au Tapasambal, improbable mais archétypal confetti latino-américain sur une carte du monde. Papa et Maman Talon, touristes dans les Caraïbes, se sont fait prendre en otage par une bande de terroristes à pétoires et sombreros, et Chichille, en bon fils, se met en devoir de libérer ses ascendants chéris.

Comme de tradition chez Greg, l’introduction, sans rapport scénaristique avec l’action principale, permet de poser l’atmosphère loufoque, et d’amener le lecteur à se mettre au diapason des outrances verbales et posturales qui constituent un des ressorts essentiels du comique de Greg. Ici, sur trois planches, Lefuneste est réveillé par d’atroces odeurs émanant de chez Achille : ce dernier ne fait que préparer son petit déjeuner.

La caricature sociale et politique, certes marquée par son temps, a relativement peu vieilli : le ministre, obligé par les exigences diplomatiques de sa fonction de faire semblant de connaître Achille Talon au cas où... Ce ministre (de droite) choisit Achille comme négociateur, mais le délégué communiste impose Lefuneste dans la mission, ce qui est une manière de maintenir le duo-duel Achille-Lefuneste tout au long de l’album. Ceci, par contre, a vieilli : les communistes sont si peu en cour aujourd’hui qu’ils en sont à se camoufler en effaçant leur faucille et leur marteau (Lénine a fait plusieurs tours dans sa tombe).

Caricature aussi des jeux débiles du club Pacifico (où l’on reconnaîtra aisément le Club Med de l’époque).

Derrière les extravagances des exigences des ravisseurs (cumuler chez eux les monuments les plus universellement connus de la planète) se trahissent les préoccupations géopolitiques des années 1970-1980 : que faire des pays du Tiers Monde dépourvus de ressources intéressantes pour les pays riches ? On est dans la problématique du « Nouvel Ordre Economique Mondial » réclamé par Boumediène à l’époque. Le kidnapping d’attractions touristiques de niveau mondial se voulait exagéré à ce moment-là dans l’esprit du scénariste. A lire l’album, on rit un peu plus jaune aujourd’hui : les ressources touristiques, loin d’être un complément de ressources superfétatoire et futile comme il pouvait le paraître, est devenu une ressource essentielle pour certains pays : on voit ce que deviennent la Syrie et l’Egypte, dont les mouvements sociaux dissuadent la fréquentation touristique ; on remarque que le Qatar, autre confetti géopolitique (mais réel, celui-ci) a tout fait pour avoir chez lui son Louvre personnel. Et, pire encore, la France, qui se vide de ses usines, compte de plus en plus sur son attractivité touristique pour sauvegarder ses derniers emplois...

Les négociations d’Achille avec un « général » obsédé de la fusillade valent leur pesant de comique. La femme et la sexualité apparaissent à nouveau, sous l’espèce d’une prostituée qui accompagne le « général », et qui se révèle un alliée précieuse pour Achille, après avoir fait tapisserie dans un premier temps (procédé habituel chez Greg).

Un autre élément d’unité comique du récit est constitué par la présence de pigeons voyageurs blasés qui chient régulièrement sur le nez du destinataire...

Un thème cher à Greg également, que l’on retrouve chez « Corentin » (« Le Poignard Magique »), ou chez Luc Orient (Le Cycle de Terango), c’est la mobilisation progressive de tout un peuple, dans ses composantes aussi variées et contrastées que possible, afin de lutter contre un tyran. Greg porte visiblement en lui cette structure, et les images de foule (planches 32 et 38) ouvrent une fenêtre sur le grouillement subjectif de l’inspiration du scénariste.

Bon, tout sera bien qui finit bien, Papa Talon et un copain belge finissent par trouver une ressource durable pour le Tapasambal. Si les aides au développement pouvaient se révéler aussi fructueuses aujourd’hui, tout le monde serait content.
khorsabad
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le 18 févr. 2013

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