"Vol 714 pour Sydney", avec son beau titre conceptuel puisque constituant les parenthèses de l'histoire contée par le livre, est un "Tintin" hautement symbolique pour moi : il fut le premier à m'être contemporain. J'avais 11 ans à sa sortie, et mes parents me l'offrirent "tout neuf", avec sa tranche de couverture verte et carrée qui le distinguait de tous les autres, un peu poussiéreux et racornis, dont j'avais seulement "hérité". Et puis, il parlait d'extra-terrestres, un sujet alors gravement à la mode, tout en étant "réaliste" dans sa narration si éloignée des pérégrinations intensives de l'ex-reporter / aventurier. Bref, je l'adorais...


Le temps a été moins clément néanmoins avec "Vol 714..." qu'avec les albums antérieurs d'Hergé, peut-être parce que son inscription nette dans une époque qui me fut contemporaine l'empêcha de devenir un classique : certes, les références à Berger (le "passeur" et co-auteur du "Matin des Magiciens", que je lirai deux ans plus tard) et à Dassaut se sont perdues, mais il reste cet enracinement dans la modernité des années 60 (l'avion à géométrie variable, les armes systématiquement utilisées) et ce découpage de l'action, pour la première fois cinématographique, avec ses gros plans expressifs et ce dynamisme de la narration, qui en font un "Tintin" très différent. Aujourd'hui, les puristes regrettent la bouffonnerie générale qui désacralise des personnages essentiels de l'oeuvre, comme Tournesol - bien loin ici du scientifique génial de "Objectif Lune" - ou Rastapopoulos, qui n'est plus que la caricature de l'implacable et mystérieux génie du Mal qu'il fut : on peut supposer que ce jeu de massacre fut volontaire de la part d'un Hergé, qui vivait mal le succès concurrent d'Astérix, même si l'on peut soupçonner l'influence de ses collaborateurs des Studios...


Bref, la fin est désormais proche avec cette indéniable trivialisation du mythe, mais l'enfant que j'étais alors - et que je reste - ne résistera pas à l'énergie des dernières scènes du livre, la fuite fascinante de Tintin et ses compagnons au sein du volcan en éruption, qui font pardonner beaucoup des faiblesses qui ont précédé. [Critique écrite en 2017]

EricDebarnot
7

Créée

le 14 nov. 2017

Critique lue 839 fois

20 j'aime

7 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 839 fois

20
7

D'autres avis sur Vol 714 pour Sydney - Les Aventures de Tintin, tome 22

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

184 j'aime

25