Watchmen
8.5
Watchmen

Comics de Alan Moore et Dave Gibbons (1986)

« Le rêve américain où il est passé ? Ouvre les yeux. Il est là. »

Je vais être honnête avec vous : j’ai eu du mal à rentrer dans ce « Watchmen ».
Pourtant, quand j’ai vu ce bel objet ; quand je me suis rappelé du beau potentiel de propos et d’univers présents dans l’adaptation cinématographique de Zack Snyder et surtout quand j’ai repensé à ce personnage incroyable qu’est Alan Moore, je n’ai pas pu résister et je me suis acheté cette intégrale pour la dévorer…
Alors certes – comme en témoigne ma note très flatteuse de 9/10 – au final, le plaisir et l’expérience artistiques furent bien là.
Mais bon, mon désir d’honnêteté m’oblige donc à vous le dire : je trouve que rentrer dans « Watchmen » est un effort assez exigeant.


Premier problème : visuellement c’est très cheap.
Désolé pour les adorateurs de Comics mais moi, en termes de bande-dessinée, je navigue surtout en terres franco-belges et parfois en territoires japonais. Du coup, quand je tombe sur des planches aussi bariolées, coloriées de manière simpliste dans un souci de rentabilité et le tout reprenant cette composition assez rigide et statique propre à la culture du comic-book, je dois bien avouer que ça a tendance à rendre mon immersion très compliquée.


C’est qu’en plus « Watchmen » s’appuie grandement sur la culture et les codes des super-héros de l’époque. Et si l’initié s’y retrouvera sûrement, pour moi ça constitue une barrière supplémentaire.
Surtout que l’œuvre n’entend pas nous prendre par la main.
La plongée dans l’univers est brutale et il faudra savoir être patient avant de vraiment trouver ses marques et disposer de suffisamment d’éléments pour être en mesure de comprendre de quoi il retourne vraiment.


Malgré tout, c’est aussi cela la force de ce « Watchmen ».
Cette plongée brutale en fait sa force. Car c’est à force de cheminer dans ce monde émietté et statique qu’on finit par cerner – et sentir – ce terrible désenchantement que chacun des protagonistes est amené à ressentir.
Ainsi, quand bien même le monde de « Watchmen » ne change-t-il pas que notre regard, lui par contre, ne cesse de se forger. Et tout ce qui paraissait saugrenu, terne ou fou au début, devient soudainement plus intelligible, plus accessible… Mieux encore : plus sensible.
Parcourir « Watchmen » et son monde de désillusion m’a amené du coup à appréhender autrement le laisser-aller progressif du Hibou, l’aigreur du Spectre soyeux, le détachement et l’apathie du Docteur Manhattan, l’extrémisme de Rorschach, l’ignominie décomplexée du Comédien…
…Jusqu’au cynisme d’Ozymandias.


Ainsi, telle une horlogerie bien huilée, cette bande-dessinée parvient-elle cet habile tour de maître qui consiste à nous faire arriver à une conclusion qui se pose comme une évidence limpide.
En cela, cette bande-dessinée m’a même surpris tant celle-ci est parvenue à susciter chez moi une réaction totalement inverse à celle que j’ai ressenti face à l’adaptation que Zack Snyder en a faite au cinéma.
Autant le film m’avait très rapidement séduit avant de m’égarer progressivement dans une certaine indifférence (et plusieurs visionnages ont su confirmer à chaque fois cette impression), autant l’œuvre de Moore a mis du temps à me conquérir avant de progressivement obtenir ma totale adhésion.


D’ailleurs, cette conclusion, je trouve que c’est l’indéniable point fort de cette bande-dessinée, tant celle-ci parvient à figurer avec beaucoup d’intelligence le regard proposé par Alan Moore.


Que l’humanité ne puisse s’unir qu’avec le recours d’un grand monstre tentaculaire issu d’une autre dimension, pour moi c’est juste terriblement puissant par ce que ça montre et par ce que ça dit.
On a soudainement, condensé en une seule figure le paradoxe d’une civilisation qui est à la fois capable de domestiquer l’atome tout en étant incapable de se domestiquer elle-même. Moore pose à travers cette figure toute l’irrationalité contenue dans l’Humain : cette espèce qui a besoin de mystique pour enfin faire ce qu’il convient de faire afin de se sauver elle-même.
Ainsi la bête mystique est à la fois la solution et le révélateur de l’ampleur du problème.
Elle agit comme le dévoilement d’une vaste farce cynique ; cette farce étant l’humanité en elle seule.


Ce genre de trait de génie-là, c’est clairement ce que fait pour moi d’Alan Moore un beau visionnaire et un grand artiste.
Cet homme voit et il donne à voir.
…Et « Watchmen » se pose ici comme la matérialisation de ce regard offert.
C’est ça, moi, qui me fais tant aimer « Watchmen », quand bien même je trouve cette œuvre si peu accessible.


« Watchmen » est juste un bout de lucidité.
« Watchmen » est un cadeau pour qui parvient à s’y ouvrir.
C’est ce qui en fait une œuvre marquante…
…Une œuvre d’art, tout simplement.

lhomme-grenouille
9

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 BD et C'est si bon de finir une BD totalement blasé...

Créée

le 8 janv. 2021

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