X
6.9
X

Manga de CLAMP (1992)

On aura bien raison de faire mon procès avant même de lire ce recueil de haine déçue que sera ma critique. Car je l’ai un peu cherché. Là, plus qu’en d’autres occasions.


« Mais monsieur Bigaut » me diront les plus polis « Si vous voyez un panneau annonçant un bassin d’acide sulfurique, que vous sentez l’odeur de l’acide sulfurique à plein nez, que vous voyez, devant vous, quelque chose se dissoudre dans ce bain d’acide sulfurique ; pourquoi diable aller y tremper vos orteils pour ensuite vous plaindre des effets de l’acide sulfurique ? »


La question est d’autant plus légitime et brillante dans son intitulé, que la réponse que je sois susceptible de lui réverbérer est mal fondée. Pourquoi m’essayer à CLAMP ? Pourquoi m’infliger encore un supplice dont je ne connais que trop bien l'agonie ? Par strict masochisme, à moins que ce ne soit pour assouvir un sadisme débridé ? Non, je n’en retire aucun décidément plaisir de cette lecture, pas même quand je la vomis de tous les orifices après qu’elle m’ait purgé la cervelle. Alors pourquoi passer à l’acte ? Pourquoi lire « X » de Clamp ? Par défi, d’abord, pour mieux compléter une collection de critique ensuite, et, aussi, je dois bien l’avouer, avec un vain espoir au bord du cœur.


Il s’en sera trouvé de ces… filous, pour me le conseiller. Sans emphase déplacée, je reconnais au moins ça, mais on m’assurait qu’il y avait un manga CLAMP qui méritait la réputation de ce groupe maudit, et que c’était celui-ci.


Mauvaise pioche.


CLAMP ? Il n’y a que lorsque l’animation s’en mêle que ça devient comestible. Cela vaut pour Sakura comme pour Code Geass - dont elles ne sont pas aux manettes du scénario dans le second cas. Code Geass, dont X posera ici les bases graphiques de ce qui constitua apparemment son character design. À l’exception près de ces grands yeux mouillés qui auront si longtemps terni l’image du manga dans le monde entier. Et c’est sans compter la présentation des personnages. Toutes les lycéennes, à compter du premier chapitre, nous chantent la panégyrie de Fuma, ce grand ténébreux dont on nous dit et répète qu’il est « cool » au naturel. Et sa sœur, pour donner le change en s’illustrant dans ce que le registre Shôjo a de plus agaçant, sera une cruche naïve et fébrile, dont les sourires affectés seront résolument placardés sur sa petite gueule innocente. J’aimerais que cette femme-là se concrétise dans le monde réel. Non pas pour l’épouser – ah bon Dieu non – mais pour lui talonner le visage. Elle est insupportable de mièvrerie au point où les seuls sentiments qu’elle soit susceptible de suggérer chez son prochain soit l’envie de lui faire du mal.


« Mais monsieur Bigaut » m’interpellera-t-on à nouveau pour tempérer la rage latente qui commence à bouillir, « Les Shôjos, ça n’est pas fait pour vous ; car, nonobstant les affres de la genderfluidité et autres excentricités universitaires excrétées du fin fond de la french theory et de l’école de Francfort, on aura beau dire, mais vous restez un couillon de mâle de la plus stricte obédience. Pourquoi attendre quoi que ce soit d'une œuvre adressée aux jeunes filles »


Que X, parce qu’il est féminin jusqu’au plus infime de ses pores, ne soit pas adressé à un public masculin, ça se conçoit. Mais dans ce cas, pourquoi ai-je trouvé moyen de m’extasier devant la candeur et la douceur de vivre d’un Sakura (l’adaptation animée uniquement) qui, pour ce qui est de la virilité affichée, n’en menait pas large non plus ? Parce que, tout féminin que cela pouvait être… c’était objectivement bien foutu. Il y avait une atmosphère, une ambiance propre, une identité certaine ; du talent (impulsé par les animateurs en charge de l’adaptation uniquement). Un manga – ou toute autre œuvre – peut laisser traîner une patte féminine pour ce qui est des tons ou de la thématique et, malgré tout, être apprécié des deux sexes.


Or, comme presque tout ce qui recouvre le registre Shôjo aujourd’hui, X trouvera le moyen d’être cucul la praline jusqu’aux plus infinies outrances permises dans ce registre. Ce n’est pas être féministe ou démagogue (ce qui est un synonyme), que de dire qu’une œuvre qui s’adresse en priorité aux femmes mérite quand même d’être davantage travaillée. Il y a ici des manières dans le dessin pour faire féminin à défaut de l’être foncièrement. En un sens, X, en s’accomplissant par les seules postures de ses personnages, se veut le pendant féminin d’un Jujutsu Kaisen en se complaisant dans la pose. Les shikis étant alors ici des malédictions comme elles pourraient l’être justement dans Jujutsu Kaisen. Bon sang… un Shôjo de dernière bourre aurait inspiré un des Shônens à succès de cette ère ? Nous vivons décidément des temps troublés.


Et Kamui – rien à voir avec Golden Kamuy hélas – le traditionnel et sempiternel « élève transféré en cours d’année », présenté qu’il sera entouré de fleurs virevoltantes, viendra jouer le bellâtre irrésistible dont le cœur, à compter de l’instant où il entrera dans la salle de classe, battra à l’unisson avec celui de la pouffia… pardon, de la belle Kotori. À lui aussi, la plèbe hystérique lui rappellera à grand renfort de cris à quel point il est beau. Honnêtement, c’est donner une bonne image de la femme que de toute les présenter comme des crétines superficielles dénuées de pudeur ou de retenue ?


Mais leur histoire d’amour commencée il y a six ans ne peut s’accomplir, car Kamui a bien changé… même si ses airs prostrés et mystérieux laissent subodorer que… oh putain… c’est un soap coréen. On aura beau tourner ça dans les sens, X, ça n’est que ça dans son postulat de base, mais avec des pouvoirs magiques et du faux drame en garniture. Avec bien entendu une rivalité informelle entre Kamui et Fuma qui se retranscrira jusque dans une confrontation mystique. Une épée, sainte, une prophétie, un Kamui. Le scénario est cousu de fil blanc avant même de commencer à être brodé.


Et la succession de gandins aux traits épurés se poursuit inlassablement pour mieux nous accompagner dans une chute libre vers l’ineptie créative la plus assumée. Nataku, Aoki, Daisuke, Subaru, Vincent, François, Paul... et les autres – je brode moi aussi – tout ça, ça use avant l’heure. Il n’y a pas de scénario ; comme pour une télénovela, les séquences dramatiques sont improvisées les unes après les autres pour bricoler un cadavre exquis informe écrit à huit mains. Rien que du CLAMP dans ses grandes œuvres. XXXHolic avait le mérite d’être éthéré et de ne pas forcé la pose et les afféteries, ce qui le rendait plus acceptable – assez pour que je ressente le besoin d’augmenter le note que je lui avais attribué alors – en comparaison de ce festival de jolis cœur croisés avec Merlin l’enchanteur. L’enchantement en moins.


Les confrontations n’auront rien de franchement palpitantes. Je dois reconnaître cependant – et cela me blesse le séant de devoir l’admettre – que leur orchestration est bien meilleure comparée à ce dont nous agonisent les Shônens contemporains. Des temps troublés vous disais-je…


La scénographie cherchera à nous assaillir en chaque occasion qui se présente sous les effets graphiques les plus rose-bonbon qui soient. Sans cesse, nous verrons des plumes virevolter dans le décor, à croire que le ciel éventre des édredons quotidiennement. Le côté girly est poussé tellement loin qu’on ne peut pas s’empêcher de trouver ça ridicule…. parce que ça l’est, tout simplement.


« Mais monsieur Bigaut » me répéteront quelques malandrins décidément trop invasifs « il y a quand même un véritable drame dans X, c’est un manga poignant et sérieux qui se doit d’être traité avec respect ! »

Au prétexte que Fuma tue Kotori, je devrais louer la présumée grandeur de l’écriture ? Ce n’est que poursuivre le logiciel télénovela. Les petits drames à répétition, ceux-ci visant à prolonger artificiellement la date de péremption, ne suffisaient plus. De même qu’un accroc à l’héroïne, le manga X, pour gérer son accoutumance de mièvreries affectées, doit fatalement augmenter les doses à un instant ou un autre. La mort de Kotori n’était qu’un calcul éditorial s’inscrivant dans ce contexte, on ne pourra pas le voir comme autre chose dès lors où on prendra ne serait-ce qu’un minimum de recul sur l’œuvre.

En somme, X était moins inventif que n’avait pu l’être Tsubasa Reservoir Chronicles, en trouvant le moyen d’être plus prétentieux. L’écriture n’y est pas ici douteuse ou même approximative, mais expérimentale pour ce qu’elle a d’improvisée et d’inintéressante. Tout ce beau bordel s’agite sans jamais trop quoi savoir faire de ses pages, mais il faut bouger pour laisser entendre une idée de dynamisme afin de tromper le lecteur. Que ce dernier ne voit pas à quel point tout y est terne en réalité quand la scénographie nous exempte de ses artifices accablants dispensés à raison de plusieurs kilotonnes par chapitre.

Josselin-B
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le 23 févr. 2024

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Josselin Bigaut

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