Au moment de tourner 125, rue Montmartre, Gilles Grangier a déjà réalisé une bonne trentaine de films et collaboré à plusieurs reprises avec Jean Gabin. Lino Ventura, en revanche, en est encore à sa phase de découverte du cinéma, même si ses idées sur le sujet, et a fortiori sur les personnages qu’il incarne, sont bien arrêtées. Tous deux vont donner à ce polar méconnu l’allant indispensable aux grandes œuvres. L’acteur italien, ancien champion de lutte, se montre magnétique dès les premières séquences du film : cigarette aux lèvres, moue lasse ou contrariée, il débite avec charisme les dialogues parfaitement ciselés d’un Michel Audiard en grande forme. Gilles Grangier façonne quant à lui un polar échevelé où le mystère s’épaissit constamment, tout en radiographiant le Paris populaire à travers l’histoire d’un vendeur de journaux à la criée.


Adapté d’un roman primé d’André Gillois, accompagné de partitions parfois anxiogènes, 125, rue Montmartre bascule au moment où Pascal repêche sous un pont Didier (Robert Hirsch), qui a tenté de mettre fin à ses jours en se jetant à l’eau. Ce dernier se dit victime de sa femme et de son beau-frère, qui cherchent à le faire passer pour fou, probablement dans l’espoir de s’accaparer ses « deux fermes » et ses « trente hectares ». Malgré le comportement erratique de son nouveau compagnon et quelques revirements de bord, Pascal le prend sous son aile, lui dégote un job où il peut espérer « 300 balles par jour », puis l’accompagne dans sa demeure bourgeoise pour récupérer quelques liquidités. Sauf que rien ne se passe comme prévu et que le pauvre vendeur de journaux finit… accusé du meurtre de Didier, l’authentique cette fois ! Nous voilà plongés dans le parfait scénario hitchcockien du faux coupable.


Mine de rien, l’acuité du regard est l’une des grandes qualités de ce long métrage. Il y a d’abord la caractérisation fine de Pascal, habitant un appartement modeste, doublant ses revenus mensuels grâce au Tour de France, accordant confiance et logis à un inconnu par pure charité, tout en déclarant : « Il m’énerve. J’aime les gens normaux, moi ! » Par ailleurs, le quartier de la presse, les tournées des vendeurs, la criée constituent autant de particularités sociologiques étudiées dans le film. Il y a aussi le regard de l’inspecteur, dont les doutes seront favorables à Pascal, et qui assènera : « J’aime que les assassins concordent avec l’arme du crime. » Pendant ce temps, les quiproquos et confusions identitaires le disputeront à l’humour audiardesque, tandis que les numéros d’acteur de Lino Ventura et la photographie soignée de Jacques Lemare sublimeront un peu plus cet étonnant 125, rue Montmartre. Un polar dont la brève allusion à la peine de mort, à l’endroit d’un innocent au grand cœur, se niche certainement dans le corps du courant abolitionniste.


Article publié dans les colonnes du Mag du Ciné.

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le 24 juin 2019

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