12 Years a Slave par Hugo Harnois
Changement total de trajectoire pour le génial Steve McQueen. Malgré sa différence de sujet et d’époque, 12 Years a Slave suit le parcours logique et très cohérent d’un cinéaste s’intéressant à une notion essentielle : l’emprisonnement. Hunger montrait la lutte d’un homme incarcéré entamant une grève de la faim pour faire valoir son statut. Le chef-d’œuvre Shame symbolisait un enfermement par la chair, où un homme était soumis à ses pulsions sexuelles. Enfin, 12 Years a Slave est l’histoire d’un nouveau combat (peut-être le plus intense) : celui d’un individu asservi douze années durant, qui connaîtra les pires châtiments, tant physiques que moraux.
Bonne nouvelle, le mouvement « noir » au cinéma continue de progresser pour montrer à tous les cruautés auxquelles ce peuple a été confronté. Ici, pas de cours historique comme Le Majordome ou d’empathie forcée tel Fruitvale Station. Vous n’aurez droit à aucune scène larmoyante acidulée aux airs de violon, seulement des faits, crus, concrets et réels, que McQueen filme avec une folle intensité et beaucoup de précision. Accompagné de multiples seconds rôles de très grande qualité (Dano, Pitt, Cumberbatch, Giamatti, Paulson), Chiwetel Ejiofor réussi à tous les niveaux en incarnant à la fois un courage inouï et un désespoir des plus profonds. En somme, un paradoxe tout à fait approprié à sa condition d’esclave.
Certes, le britannique a choisi pour son œuvre de privilégier le sens du récit au style formel appuyé auquel il nous avait habitué. Mais nous pouvons encore déceler ici et là des scènes mémorables, propres à sa patte esthétique. La séquence où Patsey se fait fouetter est certainement la plus emblématique du film. La caméra virevolte sans jamais s’interrompre en montrant toute l’horreur dont l’être humain est capable. Parlons d’ailleurs de cette notion d’ « être humain ». Peut-on encore se considérer comme tel alors qu’on renie sa propre identité pour pouvoir survivre ? C’est ce que devra faire Solomon s’il veut s’en sortir. Mais le bourreau face à lui l’assénant d’innombrables coups et le considérant comme inférieur mérite-t-il, lui, le statut d’être humain ?
Qu’importe les époques, le genre humain semble condamné dans le cinéma de McQueen à être captif, par le système, autrui ou lui-même. À travers ce récit de vie, il continue de nous interroger sur le rôle que l’homme a à jouer dans cette société. Sans forcément parler ni décrire, mais juste par le pouvoir des images. Fascinant.