A l’angle de la Canebière et de la rue Vincent Scotto (qui donne sur Belsunce), au numéro 37, trône les lettres fluos du cinéma "Variétés". Le patron du cinéma traine une réputation peu reluisante. Mais les réputations, à Marseille, on s’y attache guère: une moitié sont fausses parce que les Marseillais exagèrent, l’autre est vraie parce que les Marseillais sont des brigands. Avec une chance sur deux, autant tirer la pièce.


Pourquoi vous parler de cette vénérable institution en introduction de ma causerie sur le dernier McQueen ? Parce que la salle a été un acteur à part entière de mon expérience "12 years a slave".
C’est rarement le cas, mais je n’ai non seulement jamais pu totalement oublier sa présence pendant la projection (et encore moins celle de ses occupants) mais j’ai surtout continuellement eu l’impression d’être dans une dimension parallèle.


Ça a commencé par une queue allant jusqu’à la caserne de pompiers de la Canebière, chose improbable pour un samedi à 19h. Je veux bien que trois films commençaient à peu près à la même heure mais que je vous dise: je suis venu de nombreuses fois aux Variétés avec ma Kenshouille, je n’y ai jamais fait la queue, et nous avons souvent assisté à des projections désertées.


Et là, salle pleine.
Sidération.
Plus un fuckin’ fauteuil de libre. Pour "12 years a slave", 3 semaines après sa sortie?
Moi qui m’attendais à poser les pieds sur la fauteuil de devant, les bras en croix et une canette sur le bas-ventre, je me suis retrouvé coincé entre des inconnus à la proximité envahissante, à devoir jouer des avant-bras sur les accoudoirs, et à demander pardon quand je bougeais les jambes.
Traumatisme.


Le film commence. Pas de son. Un habitué hurle "et merde le Variétés, putaiiing !"
Le son arrive. Un personnage, à l’écran, parle. A côté de moi: "heueuu, ça va parler en anglais tout le long ? Avec des sous-titres ?"
Putain, je suis bien.


Et puis bon, voilà. A ma gauche, deux dames dans la cinquantaine, qui n’ont manifestement pas l’habitude de regarder des films en salle, portées sans doute par le message du métrage. Pendant 2h15, ce furent force soupirs, exclamations, indignées "oh ! l’enfoiré !", fébriles "oh noooon !", enjouées "bien fait !" ou dépitées "c’est pas possible !".
Dois-je préciser qu’il me fut quasiment impossible de rester concentré sur l’écran?


Pourtant, je reste persuadé que ce ne sont pas ces éléments extérieurs qui m’ont maintenu à ce point hors du récit.
Tout tiré d’une histoire vraie qu’il puisse être (je crois qu’on est passé à 75% de la production U.S. actuelle, non ?), un récit à sens unique ne faisant qu’enfoncer une seule et même idée, inlassablement, de la première à la dernière seconde, sans inflexion, sans nuance, sans contraste, sans surprise, est au dessus de mes forces.
Les scènes supposées dures deviennent interminables, les puissantes pesantes et les édifiantes lénifiantes.


Visiblement, tout le monde ne partageait pas mon scepticisme, et je suis finalement bien content qu’une belle cause, noble et humaniste (dénoncer l’ignoble esclavagisme), puisse à ce point faire vibrer des assemblées peut-être un peu moins coutumières des salles obscures que je ne le suis.
Au fond, je me demande si un film sur le même sujet mais beaucoup moins sérieux, comme put l’être celui de Quentin, ne serait pas beaucoup plus efficace, grâce à un discours infiniment plus trouble et contrasté, ce qui en renforce énormément la puissance.
Un peu comme la vraie vie, au fond.
Une nouvelle pierre sur l’édifice de ceux qui pensent que plus on s’éloigne du réel, plus on en est proche.

guyness

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