Michael Bay a opéré un tournant assez intéressant au sein de sa filmographie depuis son Pain and Gain en 2013. Même si il n'a pas foncièrement changé, il a gagné une certaine maturité, calmant quelque peu son style outrancier pour offrir un cinéma moins patriotique et plus ouvert à l'ironie et à la satire de l'Amérique. Réfléchissant sur la suprématie américain, principalement constitué de valeurs beauf, de stupidité et de lâcheté parfois, il porte aussi un regard sur son propre cinéma, sur sa propre beaufitude et sa propre stupidité au point d'en faire une parodie astucieuse et savoureuse, mais pas subtile, avec son Transformers : Age of Extinction. Il reste un bourrin manquant de finesse, mais il porte un regard plus pertinent sur ses valeurs et ce qui le défini. Venant accomplir sa mutation dans son nouveau film, probablement le plus mature et le plus classique de sa carrière mais assurément un des plus réussis.


Scénarisé par Chuck Hogan, écrivain mais aussi co-créateur de la série The Strain qui adapte les romans qu'il avait écrit avec Guillermo del Toro, le film tend à retranscrire les événements qui se sont déroulé à Benghazi en Septembre 2012. Inspiré d'une histoire vraie, il suivra donc tout les poncifs de ce genre de scénario, commençant quelques jours avant les événements principaux pour nous présenter les personnages et l'univers dans lequel ils évoluent. Les personnages sont très stéréotypés et leurs relations sont caricaturales, pour nous faire connecter avec eux le plus vite possible, le film use de beaucoup de clichés propre aux films de guerre qui tendent à limiter notre intérêt pour eux. On reste assez en retrait émotionnellement pour véritablement se concentrer sur les faits et lorsqu'il tente de toucher la corde émotionnelle, le tout tombe dans le pathos. Les scènes avec la famille du héros sont mal écrites et vraiment agaçantes tombant souvent dans le ridicule. C'est vraiment l'univers et la manière dont l'ensemble s’enchaîne qui nous maintient en haleine, le film faisant le choix intelligent de ne pas trop en révéler aux spectateurs pour le maintenir dans le même état d'incertitude que les personnages. Qui sont les alliés ? Les ennemis ? Pourquoi tout cela arrive vraiment ? Jamais les tenants et aboutissants de ce chaos ne sera vraiment expliqué ou alors de manière éclipsée et discrète au détour d'une phrase. Le récit à le bon goût de ne pas tomber dans le manichéisme, même si l'on suit le point de vue des américains, il ne va pas jusqu'à tomber dans le patriotisme qui aurait pu être de rigueur, ne diabolisant pas les assaillants et ne présentant pas le système américain comme une chose clean et sans faille.
Les protagonistes étant des mercenaires et non pas des soldats de l'armée américaine, ils font office d'outsiders. Devant faire le sale boulot sans être pleinement soutenu en étant même globalement méprisé par leurs supérieurs. Ici on nous montre l'histoire d'hommes abandonné par leur hiérarchie au sein d'une situation impossible. On se retrouve donc face à une certaine critique de l'impérialisme américain, qui veut se mêler de tout - même de ce qui ne le regarde pas - dans le plus grand des secrets, fait preuve de condescendance mais fini par détourner le regard quand la situation lui échappe, laissant seuls leurs hommes en première ligne. Il se montre assez ironique dans son rapport avec les symboles américains, les moquant sans détour même si sur ce point il aurait mérité plus de mesure et de subtilité. Le propos est bien trop lourd et manque de nuances, car même si il est très satirique sur l’Amérique, il reste très grandiloquent dans sa tendresse envers le soldat, ici peu importe son origine et son pays. Après on reste dans quelque chose d'assez classique en terme de récit, mais c'est un film plus réfléchi que la moyenne du genre arrivant même à traité le trouble du soldat qui se bat pour une cause qui le dépasse, quitte à délaisser sa famille, avec justesse et donne une dimension beaucoup plus mélancolique et noble à ceux qui sont généralement considéré comme les ennemis. La fin se permet même de montrer les répercussions sur eux et leurs familles de manière sensible et bien amené.
Le casting est ici impeccable. Majoritairement composé d'acteurs de second plans, plus habitués aux seconds rôles et aux séries télés mais qui n'en sont pas moins talentueux que les grandes stars. On retient surtout James Badge Dale dans cette optique, étant un second rôle de plus en plus présent et qui hérite ici du personnage le plus marquant du film, celui du chef d'équipe. Il brille par son charisme et la justesse de son jeu. John Krasinski est lui aussi très convaincant dans le premier rôle, livrant une prestation toute en retenue et en émotions refoulés. Les autres acteurs seront surtout connus par les fans de séries TV mais se montre tous très bon dans leurs rôles, même si ce ne font pas forcément de grosses performances, ils font le job à la perfection.
Pour ce qui est de la réalisation, Michael Bay n'a plus à prouver qu'il est un faiseur d'image hors pair. Il s'offre une photographie stylisée qui imprègne la rétine, surtout lors de somptueux passages de nuit et est soutenu par un montage nerveux, parfois déstabilisant dans la première moitié du film qui se montre chaotique appuyant la perte des repères du personnage, mais qui est admirable dans sa façon de s'harmoniser dans sa deuxième partie, donnant un rendu plus clair malgré la brutalité des combats et la densité des personnages présents à l'écran. On regrettera juste une musique de Lorne Balfe peu inspirée et carrément pompeuse lors des moments plus intimistes. La mise en scène de Bay reste totalement dans ses obsessions, on retrouve sa fascination pour le culte du corps déjà présent dans Pain & Gain. Que ce soit le corps bodybuildé de ses personnages ou le corps armée d'une bande d'individu qui prennent d'assaut une place, faisant corps comme un seul homme. Il filme ça de manière presque religieuse et galvanisante, notamment lorsqu'il offre de superbes travellings avant lors de courses effréné magnifiant l'effet de masse. Il retrouve aussi certains plans de ses anciens films, notamment un issu de Pearl Harbor qu'il retravaille avec habilité. Il cherche à représenter la fatalisme d'une situation, cherchant à y remonter à la source pour définir une trajectoire inévitable. C'est ce qui défini aussi sa passion pour la chaîne de commandement, étudiant et montrant d'où part un ordre et où il abouti pour en voir l'origine mais surtout les conséquences, chose très présente dans ses Transformers. Il s'impose vraiment, pour ceux qui en doute encore, comme un auteur visuel qui possède son propre langage de cinéma. Il filme comme personne le réalisme de l'affrontement, la tension que celui-ci entraîne et la manière dont il dépasse les protagonistes. Ayant toujours son amour des belles explosions, il s'en donne à cœur joie dans des scènes d'actions dantesques et rarement vu dans le genre prouvant qu'on peut encore faire dans l'inédit à partir d'une mise en scène en constante évolution et vraiment inventive dans sa manière de se confronter à la guerre. Il va même jusqu'à avoir une approche abstraite du conflit et de la violence qu'il entraîne, plongeant dans des phases plus mélancoliques ou allant même jusqu'à pousser son film vers le cinéma d'horreur. Il le fait sans subtilité mais en retire trois séquences formidables - les meilleures du film - avec un assaut dans une zone appelé Zombieland, tout un passage dans une maison en flammes et une scène sidérante par sa brutalité où après le combat il est temps de compter les morts et soigner les blessés.


En conclusion 13 Hours: The Secret Soldiers of Benghazi est un bon film. Même si on lui reprochera un côté bien trop pompeux et empli de pathos ainsi qu'une absence gênante de subtilité, il faut aussi reconnaître qu'il se montre bien plus réfléchi que la moyenne sur le conflit qu'il retranscrit et sur l'aspect factice des symboles américains. Ici les vrais héros sont ceux contraints de se battre pour des bureaucrates lâches et méprisants, et peu importe le camp ou les raisons de se battre c'est le soldat qui est noble pas sa cause, ni son pays. Même si le message est simpliste, il évite au moins de tomber dans le patriotisme ou le manichéisme, présentant les "ennemis" non pas comme une menace diabolique mais comme un corps uni et désincarné qui se bat pour ce qu'il croit être juste. Un traitement qui est aussi appliqué aux "alliés". Michael Bay arrive donc à ne pas se renier tout en parvenant à gagner en maturité et en recul sur son propre cinéma. Faisant des films plus aérés et moins indigent étant plus dans un classicisme noble que l'hystérie incontrôlé de ses débuts. Il fait des œuvres plus aboutis visuellement, mieux rythmées et moins bourratives même si ici on aurait quand même pu se passer de 20 min de film, le tout étant un peu long. Il signe donc avec 13 Hours, un des meilleurs film de sa carrière, moins fulgurant qu'un Pain & Gain mais bien plus mature et maîtrisé que ses anciens films.

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le 2 avr. 2016

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