Dans cette critique, je ne propose ni un compte-rendu point par point du film ou du livre, ni une analyse. On peut trouver les deux et de grande qualité ailleurs. Je voudrais simplement faire deux choses :
-en rendant l'atmosphère générale de l'histoire, mettre en exergue la tension du comment et du pourquoi à l'oeuvre dans le film, puisqu'elle en constitue un tournant
-partager quelques modestes interrogations philosophiques (sans tenter du tout de les résoudre), interrogations que suscite la dernière demi-heure du film.


Le livre 1984 de George Orwell a marqué beaucoup de ses lecteurs, et peut à bon droit, pour l'intelligence des questions tant socio-politiques, historiques, psychologiques et philosophiques qu'il soulève, être considéré comme un chef d'oeuvre du genre dystopique. Orwell nous fait admirablement pénétré dans une société d'hommes qui, paradoxalement, ne répondent plus aux valeurs fondamentales que nous leur reconnaissons d'ordinaire : spontanéité, liberté de penser, de se mouvoir, esprit critique, certaine sentimentalité etc. Au contraire, tout est standardisé, surveillé, contrôlé, compté par et au nom d'un parti déifié. Big Brother est en effet omniprésent, omniscient, omnipotent, et le système s'insinue dans le détail d'existences qui sont des variables d'ajustement : mêmes tenues, mêmes coiffures, mêmes rasoirs, même alimentation. Mêmes corps : le corps social ; mêmes âmes : l'âme du corps social (dans un vocabulaire spinoziste remanié), et ainsi mêmes aspirations, mêmes émotions, s'exprimant dans un même langage de moins en moins riche.
Qu'importe : Fonctionnalité, voilà le mot d'ordre. Et finalement, ce sont toutes les questions de l'homme qui se trouvent subsumées par le Comment...
Si le film ne me semble pas vraiment à la hauteur (d'une part parce qu'il n'est pas rendu justice à certains détails du livre, à sa complexité propre, et d'autre part dans la mesure où c'est souvent une expérience décevante que de voir figé et réifié dans l'imagination visuelle d'un autre la profusion imaginative que suscitent les livres qui vous parlent), j'ai tout de même trouvé intéressant la mise en tension des questions du "comment" et du "pourquoi". En effet, cette mise en tension constitue le tournant du film. Le protagoniste s'exprime ainsi :
"Il existe la vérité et la non-vérité ;
être seul dans sa propre vérité ne fait pas de soi un fou.
Julia mon amour, je comprends comment... je ne comprends pas pourquoi
."
Or, c'est au moment précis où la question du pourquoi est tout de même posée, où le protagoniste entre dans une démarche d'acquisition de ce même pourquoi, que Big Brother, immanquablement, se rappelle à Julia et à lui.


S'ensuivent les dernières 40 minutes du film, qui sont à la fois les plus intéressantes de celui-ci et les plus regrettables si l'on compare au livre. On trouvera quand même matière à réflexion quant à l'endoctrinement et à certains de ses enjeux. Et notamment : Pourquoi Big Brother ne se contente-t-il pas de faire tuer celles et ceux qui sont corrompus ? D'après ce système, quels sont les critères de la domination ? Des méthodes d'endoctrinement peuvent-elles avoir raison de nos croyances et sentiments les plus intimes ? Qu'est-ce que l'endoctrinement peut indirectement nous dire de la réalité à laquelle nous adhérons ? Une réalité objective fait-elle face à l'homme ? Ou au contraire le réel n'est-il pas réductible au psychique, et au psychique du plus fort (ici, du Parti) ? Dans ce rapport du psychique à la réalité, qu'en est-il des vérités mathématiques ? ("La loi de la gravitation n'a aucun sens... si moi je crois flotter, et si vous croyez que je flotte, alors cela se produit")


Enfin, mention spéciale à l'acteur John Hurt, qui réalise ici une performance qui doit être soulignée !

Kevin-1677
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le 19 oct. 2016

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Kevin-1677

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