1987 (Jang Joon-hwan, Corée du Sud, 2017, 2h09)

L’année de 1987 pour le souvenir national des Coréens du Sud, ce fût le théâtre d’un soulèvement populaire démocratique, qui par des manifestations du 10 au 29 juin est parvenu à renverser le régime autoritaire en place, et son président/dictateur Chun Doo-hwan, à la tête du pays depuis 1980. Des réformes démocratiques d’envergures ont alors vu le jour, ce qui amena la création de la Sixième République, qui fêtait ses 30 ans à la sortie du film.


Craignant une mauvaise publicité pour le pays, a la veille des Jeux Olympiques organisés à Séoul en 1988, le pouvoir plia sans trop de difficulté et mis en place des élections présidentielles directes, et le retour des libertés civiles. Marquant le point de départ de la nouvelle vie démocratique en Corée du Sud.


Pour raconter cet évènement, et en saisir toute l’ampleur, puisque c’est quand même une sorte d’équivalent à une Révolution pour laquelle des gens sont morts, incarcérés lors de détentions arbitraires, et souvent torturés, subissant brimades et humiliations. Parfois sur simple soupçon, celui d’être affilié au parti Communiste, ou pire, être un Communiste. Un traitre à la nation, collaborant avec l’ennemi du Nord. En vrai c’était surtout des personnes opposées au régime autoritaire de Chun Doo-hwan.


Avec sa caméra et un scénario dense, Jang Joon-hwan observe avec minutie toutes les strates qui forment la société coréenne, agrémentée d’une vision sociale, politique et policière. Du plus bas de l’échelle, jusqu’au sphère de l’État. Il y a d’un côté le peuple, foisonnant dans sa multitude, et de l’autre il y a un bloc : l’Institution. Les organes du pouvoir ne forment qu’un, et sont prêtes à tout pour maintenir une dictature sur le point de tomber.


‘’1987’’ parle principalement de la fin d’un système, de la chute d’un régime. Arrivé en bout de course la dictature se radicalise, devient plus violente dans son expression de l’ordre, plus intimidante. La police y joue un rôle clé, alors qu’elle est dirigée par des élites peu regardante sur la loi. Quand il s’agit d’asseoir leur autorité, ou assouvir des pulsions criminelles, elles sont prêtes à absolument tout.


La chute d’un système en place c’est violent, révoltant, injuste et arbitraire. Tel les soubresauts d’une bête énorme sans yeux, qui se cognant à tous les murs, de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’il s’effondre. C’est à ce moment où entre en jeu la population. Celle présente à tous les postes clés, qui fait tourner la société, prête à tous les sacrifices pour changer le monde.


Oui, ‘’1987’’ est une œuvre forte et pleine d’espoir, une fresque chorale incroyablement juste, qui montre que lorsqu’un système arrive en fin de parcours, c’est là qu’il se fait plus agressif. Les privilèges coûtent cher, et certains apparatchiks du pouvoir ne sont pas prêt à voir tout cela disparaître. Dans sa chute, ce monde en entraine un nouveau, qui résonne comme un espoir pour l’avenir.


Le récit débute brutalement par la découverte de la mort d’un étudiant, lors d’un interrogatoire musclé, par la Police anti-communiste. Ce drame qui s’est réellement produit, le 14 janvier 1987, a entrainé une réaction immédiate des autorités, faisant tout ce qui était en leur pouvoir pour camoufler ce décès suspect, comme incinérer rapidement le corps. Cette précipitation alerte le procureur chargé de signer l’acte de crémation. Il refuse d’apposer sa griffe tant que les raisons de la mort ne sont pas élucidées.


De cette affaire dramatique, partant de la mort d’un seul homme, c’est toute une trainée de poudre qui s’enflamme, en direction de l’appareil d’État. Tout d’abord ce sont les journalistes, très présents au début du métrage, qui cherchent à déceler la vérité. Mettant de plus en plus la pression sur une police prisonnière de ses mensonges. Une fois la mort de Park Jong-chui, reconnu comme un meurtre et non un accident, c’est tout un peuple qui réagit.


C’est de la base que vient la chute de la dictature. Lorsque le peuple a assez subi, il se rebiffe. Des journalistes, le récit dérive vers le procureur, puis vers des gardiens de prison, une commerçante, des étudiants, et un leader de la résistance, jardinier dans une paroisse. Ce dernier est un prétexte pour présenter le rôle capital que les prêtres chrétiens ont joués dans la démocratisation du pays. Au travers de l’Association des prêtres catholiques pour la justice.


Une toile assez dense prend ainsi forme, non pas composée de personnes dangereuses, au contraire, ni forcément des communistes, simplement des opposant à la dictature. Cette dernière utilise une police anti-communiste, chargée d’intimider les récalcitrants au régime liberticide. C’est ainsi qu’après la mort de Park Jong-chui, s’organisa une grande manifestation en son honneur, le 10 juin, marquant par-là même les débuts du mouvement.


Malheureusement, Park Jong-chui n’est pas le seul symbole de cette révolte, puisque le 9 juin, un étudiant est mortellement touché par une grenade lacrymogène en pleine tête, lors d’une manifestation pacifiste. Il décède le 5 juillet, alors que le gros de la Révolution est passée. Mais porté en martyr de la lutte contre l’obscurantisme d’un régime à bout de souffle, 1,6 million de personnes viennent assister à son enterrement, décrété funérailles nationales, le 9 juillet.


1,6 million de citoyens réuni pour rendre hommage à un jeune militant, est un chiffre qui démontre l’ampleur et la gravité de la situation. Park Jong-chui comme Lee Park-yeol deviennent symboles du sacrifice populaire, incarnations de toutes les victimes du régime. Tous ces personnes disparues où mortes dans d’étranges circonstances, prennent corps derrière ces deux visages représentant bien plus que deux victimes. On peut parler de martyr sans abus, tellement l’Église eut un rôle dans toute cette affaire.


La séquence finale, évoquant l’aurore d’un nouveau monde et le crépuscule de l’ancien, se situe à cette heure où le ciel ressemble autant à celui du matin, qu’à celui du soir. Ce moment où la lumière est si particulière, le ciel se résumant à une fine nuance de bleu dans une lumière perçante, pour la première ou pour la dernière fois. Un plan final d’une puissance évocatrice incroyable, qui fait entrer, en quelques secondes seulement, l’ensemble des petites histoires du récit dans la grande histoire, celle de la Révolution.


Frôlant sans cesse avec un pathos qui pourrait s’avérer complaisant, ‘’1987’’ parvient à ne jamais sombrer complétement dedans. Il en est de même pour la démarche légèrement manichéenne de l’ensemble, avec des ‘’méchants’’ sans nuances, et des ‘’gentils’’ ayant toutes les qualités du monde. Cependant le film se rattrape sans cesse par la grandeur de la fresque qu’il dessine, en un condensé tenant sur 2h09.


Cette courte durée, pour une histoire aussi touffue, fait que des personnages apparaissent parfois assez peu. Le départ est ainsi centré sur les journalistes et leur rôle de premier plan, puis à mesure que le métrage le récit se focalise avant tout sur les activistes anti-dictature, ceux que le pouvoir qualifie de communiste, pour justifier sa répression. Alors que ces personnes, perçu comme terroristes, et criminels, ne demandent qu’une chose : la démocratie, la vraie.


C’est cette facette qui intéresse tout particulièrement Jang Joon-hwan, témoignant d’une grande tendresse pour ces personnages. Il entre dans leur quotidien d’une manière détournée, il fait de ses personnages principaux des connaissances de figures importantes ayant marquées le mouvement. Et toute la toile du film chorale s’agrandi petit à petit, illustrant le combat des petits, le peuple, contre les grands ne tenant que grâce à un pouvoir policier à la dérive.


Mais c’est toutes les organes institutionnels coréennes qui sont corrompues. Cette Police qui n’en fait qu’à sa tête, usant d’une rare violence, misant sur l’intimidation avec une impunité incroyable, n’est que la face visible de l’iceberg. Si c’est elle qui entraine la chute du régime, c’est dans la majeur partie des institutions nationales que la gangrène de la corruption à déjà fait des ravages irréversibles.


Face à ces truands en costards et en uniformes, usurpateurs d’un pouvoir qui ne leur appartient pas, c’est toute une société qui se regroupe, brassant tous les corps de métiers de toute la classe moyenne et inférieure, ces classes qui ne peuvent plus respirer sous une dictature de plus en plus insupportable. Ce qui fait que lorsque la colère éclate, elle vient de partout.


Le hasard, où pas d’ailleurs, veut que le film ait été diffusé en 2017, au moment même où la présidente déchue, Park Geun-hye, fût condamnée à une peine de 32 ans, qu’elle purge actuellement. ‘’1987’’ vient ainsi rappeler au peuple coréen qu’une nouvelle pratique tyrannique du pouvoir n’est pas prête de se reproduire. La condamnation de Park est ainsi exemplaire, même symbolique, le message fort d’une véritable démocratie, qui fonctionne parfaitement. Héritage des soulèvements de 1987.


Le lien entre 1987 et 2017 est des plus direct, et ça, Jang Joon-hwan l’a bien compris. À travers une vision éminemment politique et pleinement engagée en faveur de la démocratie. Ce n’est pas non plus un hasard si une séquence du métrage fait directement mention au soulèvement de Gwangju de 1980. Une tragédie qui en 1987 connu un regain d’intérêt auprès des groupuscules anti-dictature, qui y trouvèrent là une preuve supplémentaire des abus d’un pouvoir autoritaire illégitime.


La coïncidence, qui n’en est peut-être pas une, veut que ‘’1987’’ soit sorti la même année que ‘’A Taxi Driver’’, prenant comme sujet principal les soulèvements de Gwangju. Aux yeux de la crise politique traversée par la Corée du Sud en 2016 – 2017 (voyant la condamnation d’une femmes politiques de pouvoir pour des fautes graves), ces deux films démontrent une incroyable prise de recul, qui évite de livrer une vision pathétique de deux évènements fondateurs de la Démocratie actuelle.


Il aurait en effet été facile de sombrer dans un patriotisme de bas étage, mais il n’en est rien. Dans ‘’1987’’ comme dans ‘’A Taxi Driver’’ ce qui est présenté sont des faits, et non des programmes politiques. Ainsi il n’y a pas de fibre patriotique inutilement titillée. C’est tout au contraire un hommage rendu directement au peuple, avant la nation. Un peuple honnête et fier, prenant conscience qu’il n’est plus possible de se laisser marcher sur les pieds.


Œuvre très riche, particulièrement touffue au niveau des informations délivrées à l’écran, sans pour autant perdre l’aspect humain qui faire que l’ensemble fonctionne parfaitement bien, ‘’1987’’ permet d’en apprendre beaucoup sur l’histoire du pays au Matin Calme. Sans sombrer dans la leçon d’histoire didactique, c’est sous l’aspect thriller que le sujet est abordé. Ce qui peut faire tout de suite penser aux grands films politiques américains des années 1970, tel que ‘’All the President’s men’’, ‘’Parallax View’’ ou ‘’The Three Days of the Condor’’. C’est du même niveau.


Avec cette plongée dans les entrailles de la démocratie coréenne, Jang Joon-hwan propose un voyage vers là où elle est née, sous la pression d’un peuple uni face à la tyrannie. La grande histoire se fond alors dans la petite, car l’intérêt principal du cinéaste est de mettre en scène ceux qui par le courage ont participés activement à renverser le système. Ceux dont la contribution, même minime, a permis la construction d’un réseau incroyable.


Encore une fois, en ce sens le plan final est absolument prophétique, car malgré toute l’horreur que le métrage s’évertue à présenter, avec cette société absolument pourrie jusqu’à la moelle, c’est par une vague de fraîcheur, un espoir en l’avenir qui peut se faire radieux, bien que ça prenne du temps. Car si le régime est renversé en 1987, ce ne fût qu’une étape avant que le pays devienne totalement démocratique, devant se détacher d’une succession de dictature, datant de la Seconde Guerre mondiale. Pour la première fois depuis bien longtemps, la démocratie est à portée de main du peuple coréen, du Sud.


Cette œuvre impressionnante, d’une grande maitrise, ne peut que forcer le respect. Elle est d’autant plus virtuose que tout l’aspect chorale et ses dizaines de personnages, est particulièrement maîtrisé. En très peu de temps il est possible de s’attacher à tel ou tel protagonistes. Le tout sous un rythme des plus soutenus.


Les dernières heures de régime insupportable, sont présentées par une montée en tension progressive, qui tout au long du récit, et des divers arcs narratifs proposés voit la pression grimper petit à petit. À mesure que le système faisandé essaye par tous les moyens de se maintenir en place, bien qu’il est très clair qu’il s’effondre inexorablement.


On ne peut que rester admiratif face à ‘’1987’’, qui tient largement la distance et la comparaison avec toutes les œuvres du genre. Allant même jusqu'à en dépasser certaines, puisque c’est là une leçon parfaite de ce à quoi doit ressembler un thriller politique. Haletant, impressionnant, vertigineux, dans sa réalisation comme dans sa structure, il n’y a aucune fioriture, tout ce qui est filmé à un intérêt pour l’histoire. Et même si par moment il est vrai que ça va vite, le sujet est toujours des plus clairs, facilitant la lecture globale du métrage.


En cette période où l’occident se dirige vers des régimes de plus en plus forts, qui pour la plupart sont en réalité en train de s’effondrer, il suffit de voir les abus d’une répression policière, de plus en plus violente pour mater l’opposition, pour s’en convaincre, regarder ‘’1987’’ peut-être une riche idée.


Car au final, ce que montre cette production est comment un peuple, face à une violence institutionnalisée, refuse de répondre pas par la violence. Comme il est plus nombreux que les détenteurs du pouvoir, il peut marcher, serein, vers les chemins de la vraie démocratie, en écrasant sur son passage les illégitimes élites, qui donnent tout ce qu’il leur reste pour tenter de rester en place. Mais face à la marche du peuple, elles apparaissent bien vulnérable, pour ne pas dire ridicule. Aller, ridicule, c’est sans doute le mot idéal pour résumer ces régimes de pacotilles.


-Stork._

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le 22 mai 2020

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