Si à la question de savoir si je suis cinéphile, je n'ai pas une réponse définitive, dans le sens où il s'agit de savoir ce qu'on entend par être cinéphile, si c'est aimer le cinéma, alors oui je suis cinéphile, si c'est être incollable à propos des réalisateurs les plus obscurs du cinéma d'art et d'essai et de scruter chaque plan d'un film à la recherche de l'obscure référence qui y est cité, alors non.


En revanche je m'enorgueillis d'être musicologue, musicien moi-même, c'est un domaine d'expression artistique que je maîtrise mieux, dont je comprend les rouages qui président à la création, où je vais reconnaître les influences et savoir analyser la construction derrière la création.


Lorsque j'ai entendu parler de ce documentaire à propos de Nick CAVE, j'étais à la fois excité en tant que fan absolu de sa musique depuis ma première rencontre à travers les disques que je piquais à mes cousines plus âgées, jusqu'à aujourd'hui et en même temps je n'étais pas certain d'avoir envie, vu le personnage et sa légende, de regarder une sorte de résumé nécrologique ou un memento exhaustif de sa vie son oeuvre.


Mes craintes furent vite balayées devant cet objet filmique non identifié, ce parti pris à la fois radical et pertinent qui sied parfaitement à l'image que je me suis faite au fil des années de l'une des plus grandes icônes du rock de ces quarante dernières années.

Sous le prétexte d'avoir vécu 20 000 jours sur terre, soit un peu plus de 54 ans et 7 mois, les réalisateurs nous convient avec la complicité de Nick dans une sorte d'introspection, un questionnement thérapeutique sur le processus de création musical. Si les souvenirs évoqués à travers ici une photographie, là une vidéo témoignant d'un moment de vie privée ou professionnelle ou encore dans l'intimité d'une séance de psychanalyse durant laquelle nous sommes témoins tout à la fois d'une quête et d'une réponse enfouie dans les souvenirs du chanteur.


Les souvenirs et la peur de perdre la mémoire semblent être le centre du besoin vital qui préside à la création chez Nick Cave, il explique écrire des histoires qui sont le reflet de ses souvenirs, idéalisés ou pas, fantasmés ou concrets qu'importe, ces textes couchés de façon obsessionnelle, qu'ils deviennent ou pas des chansons, des poésies ou des nouvelles ou encore des scénarios, sont pour lui un exutoire qui canalise sa soif et sa faim créatrice.

Il dit à propos des personnes qui l'entourent et plus particulièrement de sa femme qu'il est un cannibale, qui mange ce qui appartient à la sphère du privé pour le recracher sur des pages et en faire le sel de ce qui appartient à la sphère du public, on voit aussi les interactions artistiques et créatives qu'il a construit au fil des années, sont convoqués dans le processus ses complices de toujours, à la tête desquels Warren ELLIS semble tenir une place prépondérante, mais aussi par un montage troublant comme des apparitions dont on ne sait pas si elles sont réelles ou le fruit de son imagination et la conséquence de questions en suspend, des anciennes collaborations telles Kylie MINOGUE ou Blixa BARGELD.


Nick Cave se dévoile, non pas sous la forme d'un mémoire voyeur ou d'un bilan de fin de parcours, mais plutôt à travers la mise en perspective des obsessions qui l'ont tourmenté depuis ses débuts jeune punk à la musique brutale, jusqu'à celles qui sont les siennes à l'âge où la colère laisse place à un apaisement motivé par la paternité et l'expérience.

Véritable cadavre exquis où s'entrechoquent religion et sexualité, relation à ses proches et image publique, questions existentielles d'un homme qui de ses écorchures a tiré parmi les plus beaux textes du rock, la création au sein de sa vie, comme une sève nourricière qui serait à la fois sa raison de vivre et son cadeau au public, car au final il s'agit bien de cela, le moment où la chanson prend vie quand elle est jouée sur scène et que l'intimité qui y est dépeinte se mue en mémoire collective.


Absolument fascinant, quelque part entre la biographie et le fantasme d'un artiste qui est loin d'avoir encore tout dit (lors de la réalisation de ce film, il n'avait pas perdu un de ses fils que l'on voit lui piquer un bout de pizza dans une scène émouvante) il en résulte une oeuvre d'art d'une rare beauté et ne ressemblant à rien de connu dans l'univers des documentaires attachés à la vie d'une icône pop rock.

Créée

le 3 oct. 2022

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