À travers l’observation d’un couple new-yorkais dans les dernières heures avant la catastrophe ultime, Abel Ferrara nous livre une étude d’une lucidité extrême sur l’humanité et ses ressorts. Que faire lorsque la fin arrive inéluctablement, qu’on ne peut même s’en prendre à personne sinon à tous ? Joindre ses proches via le dérisoire Skype et leur dire qu’on les a aimés, faire enfin connaissance avec ceux qu’on côtoie depuis des années sans les voir ni savoir leur nom, faire l’amour une dernière fois, mettre ses plus beaux habits et attendre en scrutant le ciel… Aucune violence gratuite, aucune des scènes habituelles de pillage et de destruction, aucune révolte non plus, puisque tout va mourir, qu’il ne restera plus personne, ni oiseaux ni insectes, ni plus rien… Mourir, ce n’est rien si on laisse une postérité, un héritage, un témoignage. Mais rien ici ne subsistera, à jamais… Quitter la vie en étant accompagné de tous est finalement peut-être la pire des manières de le faire quand la peur est partagée, qu’elle devient une dérisoire façon d’être, comme une seconde peau. Pour compléter la réflexion, Ferrara s’interroge tout naturellement sur la valeur de l’art quand tout est épuisé de ses fondements inauguraux. Pourquoi peindre encore une œuvre abstraite, insigne implacable de la mort de l’art, de la seule voie possible après la Shoah, après l’incommensurable stupidité de l’homme ? Simplement pour soi, pour donner un sens à sa vie, pour jusqu’au bout demeurer digne et rendre compte d’une esthétique glacée et désespérée ? Des grottes paléolithiques aux volutes dénuées de sens du dripping, c’est la même démarche indispensable, mais quand la première inaugure un avenir porteur d’espérance et de croyance, la seconde, où Dieu est irrémédiablement mort, clôt le cycle en déplorant la Genèse de cette espèce animale possédée par la cruauté, incapable de s’unir pour marcher encore vers une quelconque direction… Quel immense gâchis que cette humanité-là !
Maqroll
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le 25 août 2014

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