Un défi ? Peut-être une revanche à prendre sur un public et des critiques qui l’avaient tant accablé un an plus tôt ?

Comme une façon de dire à ses détracteurs : « Vous voulez de la noirceur ? Vous voulez de la violence ? Et bien je vais vous en donner… »

Comment s’expliquer que Joel Schumacher puisse signer avec 8 millimètres un des films les plus sinistres et dérangeants du cinéma hollywoodien après avoir transformé le Chevalier Noir en clown de carnaval dans ses très colorés Batman Forever et Batman and Robin ?

Peut-être estimait-il qu’un vigilante se déguisant en chauve-souris ne méritait pas d’être traité de manière réellement sombre et adulte.

Dans tous les cas, le fossé qui sépare Batman and Robin de 8 mm, sortis à un an d’écart, est énorme.

Au vu de leurs différences qualitatives et thématiques, c’est même un gouffre.

Sur la base d’un scénario écrit par Nicholas Kazan et Andrew Kevin Walker, alors scénariste-star depuis le carton de Seven, Schumacher va mettre en boite un thriller d’une rare violence psychologique, aussi malsain dans son atmosphère que dérangeant de par le sujet qu’il explore. Le postulat est tout aussi simple qu’intrigant : époux comblé et père d’une petite fille de quelques mois, Tom Welles, un détective privé, est engagé par Mme Christian, la veuve d’un milliardaire tout juste décédé. La vieille femme lui dit avoir trouvé dans les affaires de son mari un film amateur qui s’apparente à un snuff movie. A l’image, une jeune fille y est trucidée par un bourreau cagoulé. Vouant un amour inconditionnel à son défunt mari qu’elle présente comme un homme bon et respectable, la veuve charge Welles d’enquêter sur cette vidéo et de lui prouver qu’il ne s’agit que d’une mise en scène. Elle souhaite surtout se rassurer en sachant que la jeune fille de la vidéo est toujours vivante. Le détective va alors enquêter de Cleveland à New York, en passant par Los Angeles. Ses investigations vont le plonger dans un monde underground de perversions et de commerces inavouables. Un monde dont il ne reviendra pas indemne.

Mise en place baroque, héros expérimenté mais vulnérable, enquête tortueuse le faisant traverser toutes sortes de décorum underground, à la rencontre de la lie de l’humanité. Le MacGuffin quant à lui fait référence à une légende urbaine plusieurs fois abordée au cinéma (Tesis, La Fin absolue du monde) : le mythe du snuff movie, des vidéos de meurtres réels dont la rumeur prétend qu’elles auraient circulées dans des marchés et des commerces occultes.

L’intérêt est ici de confronter un détective intègre et valeureux à un monde parallèle où le sens moral n’a plus court et où tous les grands tarés amateurs de sadisme sexuel et d’hyperviolence s’oublient dans leurs fantasmes morbides. Leurs déviances, ils les exécutent sous l’objectif, il les filment ou ils paient une fortune pour pouvoir les regarder.

En choisissant de mettre en images ce scénario, Schumacher n’a donc pas choisi la facilité et devait très probablement se douter qu’il serait attendu par la critique au tournant. Pourtant, s’il entretient toujours une ambiance sombre et oppressante et débarrasse son film du moindre trait d’humour, le cinéaste ne se complait jamais dans l’horreur visuelle. Il n’en a pas besoin pour créer le malaise chez le spectateur, la dimension malsaine du film, dictée par son sujet, est largement suffisante. De terne et dépressive dans ses premières minutes, l’atmosphère devient ensuite délétère et suffocante, hantée par des personnages aussi dérangés que terrifiants (voir le trio d’antagonistes, une belle brochette d’ordures comme on en voit rarement). Des figures perturbantes qui peuplent les bas-fonds sordides et insoupçonnés de métropoles américaines généralement sublimées par Hollywood et dont Schumacher choisi d’en montrer le versant le plus miséreux et sordide.

Fragilisé par cet environnement qui menace de l’engloutir, Tom Welles suivra un cheminement qui le conduira aux portes de la folie, là où l’individu civilisé cède à la tentation du talion. C’est là bien sûr où tous les détracteurs du film ont attaqué à l’époque Schumacher, l’accusant de verser dans la complaisance et de cautionner la justice sauvage rendue par son héros. D’autant plus que le radicalisme de son propos et la notion d’auto-justice irriguaient déjà son Chute libre, sorti huit ans plus tôt ainsi que Le Droit de tuer ?, réalisé en 1996 (le thème de la justice sauvage persistera même plus tard, dans son Phone Game, via les actes du sniper/justicier à qui Kiefer Sutherland prêtait sa voix).

La bien-pensance portant toujours très facilement le masque de l’ignorance (quand on n’a rien vécu, il est toujours facile de mettre les opinions des autres à l’index) et de l’hypocrisie, beaucoup reprochèrent à Schumacher d’avoir poussé au plus haut degré la dimension détestable de ses coupables pour justifier la métamorphose de son héros en justicier.

Dès lors, comment ne pas comprendre les actes commis par le personnage incarné par Nicolas Cage quand ceux-ci témoignent finalement de son humanité, durement mise à l’épreuve dans un monde peuplé de monstres à visages humains ?

En ce sens, rien de surprenant à ce que le mystérieux Machine soit le dernier adversaire logique du héros : il est le bourreau sans visage, l’homme ordinaire, qui, comme beaucoup de criminels sévèrement gratinés, n’a finalement aucune raison, aucune excuse, pour justifier d’être ce qu’il est.

S’appuyant sur un scénario solide, Joel Schumacher livrait ici un film que l’on peut aisément soupçonné d’avoir été produit pour profiter de la vague de psycho-killer movies qui déferlaient sur les écrans à la fin des années 90 depuis Seven. Il apparait même comme un point d’orgue à cette mode.

8 mm n’en porte pas moins la patte de son réalisateur, ce dernier revenant ici à la noirceur (certes d’un tout autre ordre) qui imprégnait son film fantastique très « modern gothic » L’Expérience interdite dix ans plus tôt, tout en poursuivant sa description entamée dans Chute libre d’une Amérique gangrenée par la violence, la misère et l’érosion de l’empathie.

Le réalisateur pouvait compter sur une distribution de premier ordre : Nicolas Cage, alors dans la liste A d’Hollywood (et qui devait jouer L’Epouvantail dans le troisième Batman de Schumacher, finalement annulé), s’y montrait étonnant de sobriété et de vulnérabilité et donnait la réplique au jeune Joaquin Phoenix dans un de ses premiers rôles d'importance. Myra Carter, Catherine Keener et Anthony Heald complétaient la distribution tandis que Peter Stormare cabotinait avec sa nonchalance habituelle dans le rôle de l’horrible Dino Velvet. Au jeu des plus beaux salauds, c’était surtout James Gandolfini qui tirait son épingle du jeu dans un rôle probablement difficile à incarner, un an avant d’accéder à la reconnaissance critique grâce à son rôle dans Les Soprano. Son long monologue alors que Welles le tient en respect dans le local abandonné est de ces grands moments d’acting tout aussi admirable par le jeu déployé de l’acteur qu’ingrat à endosser de par la nature odieuse d’Eddie Poole, le personnage qu’il incarne.

Sorti début 1999 au beau milieu d’une déferlante de films d’horreur aux tendances dépressives et millénaristes (Stigmata, End of days, Resurrection), 8 mm est un des thrillers les plus cauchemardesques qui soit. Classé R à sa sortie en salles aux States, il reste d’ailleurs toujours aussi perturbant à voir vingt-cinq ans après sa sortie et est d’ailleurs passé en France d’une interdiction aux moins de 16 ans à une interdiction aux moins de 18 ans en 2022. Ironiquement, ce qu’y dénonçait Schumacher, c’est à dire le goût d’un certain public pour l’ultra-violence et l’horreur la plus complaisante, deviendrait cinq ans plus tard une mode entamée par le succès des torture porns tels que Saw et Hostel.

Les quelques scories du film (quelques raccourcis narratifs et une musique aux sonorités orientales étrangement décalées) ne suffisent pas à occulter l’incroyable puissance dépressive de son propos. Au regard de la filmographie en dents de scie de son réalisateur, 8 mm peut alors être considéré comme un de ses meilleurs films. D’aucuns, tel que votre serviteur, vous affirmeront même qu’il s’agit là du joyau noir qui domine toute son œuvre.

Buddy_Noone

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