Fort de son passage à Cannes plus tôt cette année, où il a récolté le Prix du scénario et celui de l’Interprétation masculine pour Joaquin Phoenix, le dernier long-métrage de Lynne Ramsay a bénéficié d’une campagne de promotion somme toute singulière, lui attribuant des filiations prestigieuses, de Drive à Taxi Driver. La question étant, dès lors, de savoir si, en dépit de ces belles références, la réalisation parvient néanmoins à affirmer une singularité qui nous semble nécessaire, surtout en regard de l’œuvre réellement hors-norme de Yorgos Lanthimos, The Killing of a Sacred Deer, avec laquelle You were never really here a partagé son Prix du scénario.


La mise en scène soignée de Lynne Ramsay plonge immédiatement le spectateur au cœur d’une action erratique, où le personnage principal déambule vaguement. Au regard profond de Ryan Gosling dans Drive se substituent les yeux hagards de Joaquin Phoenix, qui peine à donner à son personnage l’ampleur de celui mis en scène par Nicolas Winding Refn ; Joe demeure un personnage de surface dont on ne saisit jamais vraiment les émotions. De fait, si la mise en scène d’un antihéros impassible semble une belle idée, on regrette que celui-ci ne jouit d’aucune profondeur émotionnelle, en témoigne les tentatives d’appel du pied à un background plus que dispensable, qui détonne par rapport à l'émotion brute du personnage de Ryan Gosling dans Drive, pour filer la comparaison.


Par ailleurs, l’itinérance du personnage peine à surprendre, tant l’œuvre de la réalisatrice de We need to talk about Kevin épouse les formes scénaristiques de ses références. Si l’on saisit de suite la trajectoire narrative du protagoniste, on ne pourra que regretter l’absence totale de surprise, hormis un léger soubresaut dans les derniers instants. L’on retiendra toutefois que le récit parcellaire se mue rapidement en un récit lacunaire que seule la forme parvient à sublimer.


Pourtant, malgré ses lacunes scénaristiques évidentes, You were never really here parvient à charmer son spectateur de bien des manières. Loin de se faire simple copie des réalisations citées précédemment, le long-métrage ponctue son récit de références bien senties, de la musique hypnotisante de Drive aux cordes désaccordées de Psycho. Qu’il s’agisse de filmer l’urbain ou de mettre le spectateur face à une violence hypnotisante, que l’on retrouve aisément dans la trilogie du néon de Refn, Lynne Ramsay parvient à créer une atmosphère relativement convaincante à partir de fragments cinématographiques populaires.


Au-delà de la seule photographie, la maestria technique de la réalisatrice s’affirme également par des choix de montage audacieux, celle-ci prolongeant bien des fois le son d’une action pour qu’il déborde sur la scène suivante. Ceci permet de donner une organicité surprenante à l’ensemble, et brise le découpage traditionnel et théâtral en scènes hermétiques. De fait, bien des choses semblent s’entremêler dans cette réalisation sombre, qu’il s’agisse donc des sons et des images, ou bien encore des temporalités, le personnage principal semblant prisonnier d’un passé obsédant et source de sa violence exacerbée.


En déconstruisant le médium cinéma, Lynne Ramsay entreprend également de déconstruire son personnage en l’inscrivant dans une dialectique entre déconstruction et reconstruction. Joe, au fil de ses sorties urbaines, démêle ses démons qui, paradoxalement, l’amènent un construire un autre soi, celui de l’empathie et de l’amour filial, substituant à la figure maternelle celle de la jeune fille en détresse. C’est malheureusement ici que les lacunes scénaristiques rattrapent la réalisation, puisque l’on peine à épouser cette perspective nouvelle d’empathie avant que survienne le cut final. Cette reconstruction du personnage demeure ainsi inachevée et le flou instauré entre rêves et réalité ne fait qu’apporter un sentiment de confusion supplémentaire.


En définitive, You were never really here est une belle proposition en termes techniques, mais ne parvient malheureusement pas à convaincre de par son scénario original sans surprises et l’absence presque totale de profondeur donnée au personnage de Joaquin Phoenix. Si celui-ci brille malgré tout dans la lividité de son rôle, en demeure néanmoins un goût d’inachevé semblable à celui ressenti face à ce récit lacunaire d’une errance urbaine.


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le 9 nov. 2017

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