Après l’acclamé We Need to Talk about Kevin (2011), la réalisatrice écossaise Lynne Ramsay revient six ans après avec A Beautiful Day (We Were Never Really Here en VO), adaptation cinématographique du roman « Tu n’étais jamais vraiment là » de Jonathan Ames sorti en 2013. Décrit par le Times comme le Taxi Driver du 21ème siècle, A Beautiful Day a remporté au Festival de Cannes le prix du meilleur scénario et celui de la meilleure interprétation masculine pour Joaquin Phoenix. Oui, tout le monde s’est extasié sur lui avec Joker, mais ce n’est pas nouveau que ce dernier soit complètement habité par un rôle et qu’il offre une prestation exceptionnelle. Il le prouve une fois de plus ici, dans un film de haute volée, pas toujours parfait mais ô combien puissant et hypnotique.


Joe vit seul chez sa mère, qui commence à perdre un peu la boule. Pas bien dans sa peau, souffrant de traumatismes du passé bien implantés dans sa petite tête (père violent, ancien soldat qui fait la guerre), ayant des tendances suicidaires, il fait ressortir toute cette haine et cette violence à l’intérieur de lui par son métier de tueur à gage. Ses méthodes ne sont pas toujours douces, mais il fait sans cesse preuve d’une grande efficacité. Un jour, un sénateur fait appel à lui pour retrouver sa jeune fille disparue en échange d’une grosse somme d’argent. Mais alors qu’il arrive à récupérer la fillette, il se rend vite compte qu’il a mis les pieds dans quelque chose de bien plus vaste qu’un simple enlèvement et la situation va peu à peu dégénérer.
On se rend très vite compte en regardant A Beautiful Day que le film ne va pas briller par son scénario qui tient sur un post-it (il a pourtant gagné le prix du meilleur scénario à Cannes… mystère…). Ce genre d’histoire, ça a déjà été vu de nombreuses fois. D’ailleurs, certains vont reprocher au film de privilégier la mise en scène au détriment de l’intrigue et, dans l’absolu, on ne peut pas leur donner tort. La réalisatrice va préférer se concentrer sur le sensitif plutôt que la narration, sur les moments calmes plutôt que sur les scènes d’action. Mais pour certains, dont je fais partie, c’est ce qui va faire la force du film. La mise en scène de Lynne Ramsay est tout bonnement époustouflante. Les plans sont d’une beauté incroyable et dégagent une grande puissance. Elle va énormément jouer avec les éclairages, utiliser les néons avec parcimonie, et certains mouvements virtuoses de caméra vont s’avérer hypnotisants. La musique électro de Jonny Greenwood (Radiohead) est percutante et, de manière générale, la musique et les bruitages sont très bien utilisés et parfaitement en adéquation avec les images.


Lynne Ramsay va s’amuser avec le montage pour le rendre volontairement chaotique, afin de donner encore plus de force à son œuvre et accentuer encore plus la « descente » aux enfers de son héros. Un héros torturé, interprété à la perfection par un Joaquin Phoenix une fois de plus habité par son personnage. Bouffi, la barbe hirsute, il est tout bonnement excellent. Son jeu est parfait et il va rendre son personnage crédible du début à la fin. La réalisatrice aime le filmer sous tous les angles, s’attarder sur ses cicatrices, sur son regard, car il est l’élément central de son film. Très vite on va nous faire comprendre que c’est un homme blessé par son passé, meurtri par des traumatismes à jamais ancrés en lui. On aura droit régulièrement à des flashs de quelques secondes seulement sur son passé, et ça ne sera jamais envahissant comme c’est souvent le cas. On sent que ce personnage est mort à l’intérieur, et ce qu’il va voir lors de ce contrat va lui mettre encore plus la tête dans l’eau. A Beautiful Day traite de sujets grave, comme le viol d’adolescentes, les réseaux de pédophilie, et le fait que quasiment tout soit suggéré donne encore plus de force à ces propos. On aura droit à quelques plans relativement gores, mais de manière générale, la violence est elle aussi souvent suggérée (on ne voit que rarement le coup qui tue, mais plutôt le résultat). Le rythme est lent, posé, mais le film n’ennuie jamais, sa courte durée de 1h30 génériques compris y est sans doute pour beaucoup. Pour en revenir à la comparaison du Times avec Taxi Driver, ils sont tous les deux très réussis et ont certes des points communs, comme ce héros, ancien soldat, devenu un tueur à gage très brutal, ou même le sauvetage de la jeune adolescente (une prostituée dans Taxi Driver). Mais ils n’en restent pas moins des films bien différents qu’il serait putassier de mettre au même niveau.


En partant d’un point de départ banal et déjà-vu, la réalisatrice écossaise Lynne Ramsay livre une œuvre fascinante et perturbante. A Beautiful Day est une réussite quasi-totale et nous démontre une fois de plus que Joaquin Phoenix est un acteur exceptionnel.


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cherycok
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le 12 oct. 2020

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