Incarner la mort sous les traits de la conception populaire et universelle qui voudrait qu’elle s’accoutre du fameux drap blanc à deux trous ; deux trous comme deux yeux, ovales et noirs, néants miniatures condamnés à avaler tout ce qu'ils peuvent voir : une idée simple et classique, un gimmick à double tranchant finalement peu utilisé au cinéma.


L'histoire, presque secondaire, c'est Rooney Mara et Casey Affleck qui s’aiment. Il meurt subitement dans un accident de voiture. Alors il revient hanter leur maison, la hanter, hanter son absence. Il (la) regarde – c’est tout ce qu’il peut faire – l’observe avec son non-regard d’infortune ; elle pleure, elle se traîne, elle fait face, elle mange une tarte dans un plan fixe qui parait durer une vie. Le voilà cruellement spectateur de feu sa propre vie, de son propre amour ; imperceptible. Le temps s’arrête pour l’un, mais pas pour l’autre, alors il passe - inexorablement, et lui, dans son camouflage de carnaval, il est là, toujours là, invisible, (in)existant, et les choses changent, et les gens changent, et voilà : la vie continue. C’est toujours ce qu’on dit après un deuil, par espoir, mais surtout par vraisemblance. Car les choses changent et l’accaparement initial se délite heureusement et la vie continue, oui. Sans lui. Et il reste, il demeure, dans son purgatoire silencieux, éternel gardien du lieu de son souvenir.


Et notre ectoplasme défait d’entamer un voyage métaphysique en transcendant l’espace-temps, et à l’endeuillé de faire son propre deuil, le deuil d’une vie - cette vie qui n'est plus et qui doit se résoudre à ce mot terrible qui garnit le vrai néant de sa clameur : jamais.


Par sa solennité formelle, par sa lenteur et son silence (il y autant de dialogues que dans un film de Kim Ki-Duk, donc bon), A Ghost Story n'est certes pas immédiatement facile d'accès, mais son jeu en vaut bien toutes les chandelles. Les angles sont arrondis dans son format carré, tableau symétrique où la mélancolie est douce et vive (à moins que....). L'audace du défunt qui fait son propre deuil, une idée aussi simple que tragique. C'est un murmure plein de questionnements existentiels, quelques mots écrits par hasard les uns à la suite des autres, dans un cadavre exquis solitaire et minimaliste qui devient par hasard le plus beau des poèmes. La plus belle histoire de fantômes.
Avec ses deux personnages qui, justement, ne sont que des personnages, inintitulés, presque des enveloppes.


C’est simple comme une lettre à la poste les enveloppes, et c’est bouleversant.

oswaldwittower
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le 18 déc. 2017

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