"L'humour est la politesse du désespoir." Une citation si connue, si remâchée, qu'on en a oublié l'auteur et qu'elle peut sembler vide de sens. Cependant, quand on y réfléchit bien, ce qui s'apparente à une contradiction dans les termes (comment rire lorsqu'on est désespéré?) n'est qu'en fait qu'un paradoxe, car le rire et le désespoir s'accommodent très bien l'un de l'autre, d'au moins deux façons à mon avis.


On peut certes rire aux dépens des autres qui sont dans une situation pire que la nôtre, pour se rassurer un peu, mais ce n'est pas le cas dans A Perfect Day, dernier film de Fernando Leon de Aranoa, qui se passe en 1995 dans les derniers jours du conflit des Balkans. Si la réalisation assume un regard étranger au contexte, en suivant des personnages qui, eux aussi (à deux exceptions près) sont des "expatriés" travailleurs humanitaires, tous de nationalité et de tempérament différents, l'humour omniprésent n'est jamais dirigé contre les autochtones. C'est au contraire un humour dirigé contre soi ou ceux qui sont comme soi, sans méchanceté mais presque avec philosophie: pour ne pas céder au désespoir, justement, on fait des blagues parfois pas si drôles que ça mais auxquelles on rit quand même, parce que ça prouve qu'on n'est pas encore battu (la scène du checkpoint est, à ce titre, un très bon exemple). Une des morales qu'on semble pouvoir tirer de ce film, c'est que même en temps de guerre, même face à la corruption, la violence, la perte de l'innocence ou l'impuissance à changer les choses, le rire est la petite part d'humanité qui permet de tenir.


Le titre de cette critique est donc trompeur: si A Perfect Day est par certains côtés très beckettien, avec son côté huis-clos, sa vision du temps en zone de guerre comme l'éternel recommencement d'une même et difficile journée (comme le montre le personnage du soldat fumeur), son intérêt pour les mini-intrigues absurdes que les hommes arrivent toujours à s'imaginer "pour se donner l'impression d'exister" comme le dit Estragon dans En attendant Godot (le running gag de la vache, la recherche du ballon et de la corde...), il s'éloigne de Beckett dans son dénouement. Car si, à la fin du film, les personnages n'ont pas évolué (à part celui de Mélanie Thierry, très juste dans son rôle de jeune recrue d'ONG), ils ont finalement permis à la situation d'évoluer un peu. La tragédie de ces personnages, c'est cependant qu'ils ne le sauront sans doute jamais: pour eux, le journée se solde et se soldera toujours par un échec.


D'où l'importance du rire.

Ruhenheim
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le 18 mars 2016

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