Pour se faire une place parmi les blockbusters spatiaux (genre sur lequel je ne cracherai décidément jamais), James Gray opte pour la bulle. Celle dans laquelle Roy McBride (alias Brad Pitt) s'est enfermé mentalement pour devenir un astronaute hors pair, mais aussi la bulle d'humanité qu'il va emporter avec lui.


Dans l'environnement zéro g qu'il va traverser, son humanité est comme un scaphandre pour son âme. Il va la confronter à celle de peu d'autres cowboys de l'espace, juste de quoi secouer l'histoire. On découvre avec lui la démocratisation du voyage vers la Lune, et l'on plane dans ce monde d'extrêmes qu'est l'espace, balloté dans l'attente que le personnage se confronte enfin à ses démons. Les espaces sont exigus et froids, peu science-fictionnels en fait, et quelque chose se passe : c'est un mood unique, alléchant mais un peu hostile, entre le blockbuster et une sorte de 2001: Odyssée de l'espace remasterisé.


Le film passe toutefois à côté du gros de son potentiel en nous teasant des voies détournées prometteuses et trop peu explorées. Le passage de Donald Sutherland marque une partie politiquement et logistiquement impactante : la traversée d'une surface lunaire sans frontières où les pirates rôdent. On y assiste à un impressionnant combat sans bruit que celui des ondes de choc, et puis… c'est tout. Au revoir la Lune, au revoir Sutherland. Au revoir le sentiment brillant que Pitt concentre l'intérêt de ses congénères à son passage, dans une brièveté touchante qui durcit encore la solitude et la promiscuité qui l'agressent un peu plus à chaque étape.


L'épisode lunaire fleurait bon le voyage, ce voyage magnifiquement banalisé, dans un futur pas si proche que ça, d'un astre à un autre. Quand il se ferme, il ouvre une brèche : un manque. Pitt est un acteur distant, trop arrogant pour évoquer subtilement les tourments psychologiques qui le rongent. Il ne s'imbrique pas dans le fantasme humain du siècle dont Ad Astra propose l'interprétation : s'éloigner le plus possible les uns des autres pour se sentir proches. De la Terre à Neptune, ni lui ni l'image pourtant soignée ne donnent beaucoup de grain à moudre à la conclusion, ce en quoi Gray est cependant là aussi fidèle à 2001 : les deux films font un gros pied-de-nez à la catharsis.


En regardant Ad Astra, j'ai vraiment vu "autre chose" et je trouve génial qu'un arrière-goût passéiste un peu brut puisse être produit par une grosse production dans le genre spatial. Néanmoins, cela faisait longtemps que des vaisseaux spatiaux n'avaient pas failli à me faire voyager.


Quantième Art

EowynCwper
6
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le 11 oct. 2020

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Eowyn Cwper

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