Le cinéma de(s) Podalydès est à son meilleur quand il se charge de redorer l'héritage du cinéma de Woody Allen des années 70. Ils prennent à leur compte la même passion pour la magie, mais un rapport particulier à la mort, quoique légèrement différent. La disparition de Berthe "si discrète que tout le monde l'avait oublié" n'agît pas comme révélateur de notre peur si contemporaine de la mort. Aucune mauvaise conscience pour Armand, même si il avoue volontiers avoir délaissé une aïeule au crépuscule de sa vie. Chez Podalydès, la maison de retraite est un paradis sur terre. La figure parentale est souvent source de frustration - le père amnésique (Pierre Arditi) - voire d'agacement profond - la belle-mère castratrice (Catherine Hiegel). La mort, le deuil, la disparition, tout ce joli programme est relegué à la marge du récit et n'occupe qu'une fonction purement burlesque, gaguesque souvent incarné par un goût certain pour le cameo. Comme cette pleureuse maladive incarnée par Noemie Lvovsky. Ou les postures mi-raëlienne, mi-goths ("la formule Twilight") de Michel Vuillermoz, hilarant en entrepreneur de pompes funèbres doté d'un sens de l'épure et du décorum proche digne de Steve Jobs. La peur de la mort ici n'est qu'un mécanisme très humain, un réflexe forcement risible entraînant formules stéréotypées - "ça fait quelque chose quand même..." - et hilarants lapsus freudiens - "Reprenez votre Thanatos... Thermos".

Le film brille à de nombreuses occasions, mais le coeur du film, son instant le plus bouleversant, restera cette lecture par Armand et Alix de la correspondance de Berthe. Cette dernière agit sur Armand comme le modèle de vie innateignable d'une époque où l'amour pouvait être fou et tragique. Forcèment un peu guimauve aussi. Armand reste pantois devant la naïveté de sa grand-mère, délaissée par un jeune magicien séduisant et coureur. Point de nostalgie, mais une infinie tendresse. A cette vision épistolaire un peu surannée des relations amoureuses, le film oppose le ballet incessant des textos du trio amoureux (au passage, belle idée de représentation du SMS : le carton rohmerien coloré). Dans ce joli conte moral, Podalydès oppose un passé à la fois figé et insaisissable - Haroun Taziouff - et un présent multiple qui ne saurait se vivre sur la base des expériences passées. Jean-Pierre Léaud disait dans La Maman et la Putain que le cinéma servait à "apprendre à faire son lit". Des petits modèles de vie. Adieu Berthe, c'est un joli traité sur l'indécision comme épanouissement, de l'oubli comme illusion salvatrice. "Il y a plusieurs amours" comme dit Armand lors de l'oraison funèbre de sa mémé. Jolie philosophie qui explose lors d'un final libertaire et jouisseur.

L'imbroglio amoureux bourgeois, la poésie fantaisiste et le gag visuel pur coexistent pour dessiner les pourtours d'un idéal de petite comédie légère et distinguée.
Antoinescuras
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le 13 nov. 2012

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