Cela fait 55 ans que la vénérable carrière de Costa Gavras s’est construite autour d’une œuvre militante, critique et toujours politique. Bien qu’il se soit engagé ouvertement en 2015 lors du terrible bras de fer entre son pays et le reste de l’Union Européenne au sujet de la dette grecque, jamais il n’avait abordé ce thème dans sa filmographie. C’est désormais chose faite, en adaptant les mémoires du charismatique, mais néanmoins controversé Yanis Varoufakis, éphémère ministre des finances du gouvernement Syriza, parti réformateur à mouvance de gauche. On pourrait légitimement ne s’attendre qu’à une immersion austère au sein la technocratie européenne, où des responsables politiques fraîchement élus vont essayer de convaincre d’autres ministres européens de ne pas sacrifier leur pays sur l’autel de l’austérité. Il y a un peu, voir beaucoup de ça dans Adults in the Room, composé essentiellement de longues discussions technico-politiques portant sur la crise de la dette nationale. Cependant, c’est aussi une formidable opportunité de plonger dans ce monde opaque où des négociations entre quelques personnes bien placées dans la machine européenne valent bien plus qu’un scrutin électoral ou un référendum. Et c’est là toute l’ironie soulevée par le film de Costa Gavras : la Grèce, berceau historique de la démocratie en Europe, se retrouve mise à pied par une Communauté Européenne n’obéissant qu’au dogme de l’austérité et faisant fi de toute velléité populaire. Cette ironie parsème tout le récit qui adopte également une structure typiquement grecque : la tragédie. Si son film est construit tel cet art théâtral ancestral, Costa Gavras n’en oublie pas son sens aigu de la mise en scène, transcendant souvent ces longues scènes de jargons techniques par un montage affuté, un rythme endiablé et une utilisation audacieuse de sa bande originale.
On pourrait reprocher au réalisateur de n’adopter qu’uniformément le point de vue Varoufakis, sans proposer de contre-champs sur ce personnage controversé. Considéré comme prétentieux et incompétent aux yeux de la Troïka européenne, il est le traître et pourfendeur du programme solidaire de Syriza pour les membres les plus à gauche de son mouvement. Mais plus que ce personnage au rôle ambigu, c’est bien l’incapacité de la Communauté Européenne à construire une solidarité solide entre ses membres qui est au centre des préoccupations du metteur en scène. Aujourd’hui, cette question n’a jamais été aussi brulante pour ce continent qui peine à juguler les effets sanitaires et économiques d’une certaine épidémie de Covid 19.