Chef d'oeuvre méconnu du grand Martin Scorsese After Hours est une comédie noire intégralement urbaine, un huis-clos citadin prenant peu à peu l'envergure d'un conte de fées nocturne aux accès pervers et jubilatoires. Griffin Dunne incarne Paul Hackett, modeste pupitreur autour duquel s'articule l'intrigue, intrigue s'étalant sur une poignée d'heures riches en rebondissements. Partant d'un postulat a priori ténu, facile voire dérisoire ( Paul Hackett veut simplement rentrer chez lui sans y parvenir ) Scorsese construit son film autour du concept de fatalité, enfermant son héros dans un New-York labyrinthique, tout en fièvre et animosité. La ville-muse de Marty n'a plus rien du paysage sordide de Taxi Driver ou de la fresque glamour et naturaliste de Raging Bull : After Hours présente une Grosse Pomme rocambolesque, hostile sans être antipathique et grinçante à plus d'un niveau...


Le film n'ennuie jamais, fort d'une réalisation absolument remarquable de densité et de maîtrise. Tout en multipliant les références culturelles attribuables à New-York ( l'oeuvre de Henry Miller, les peintures oniriques de Hopper, la fébrilité nocturne du cinéma de John Cassavetes mais aussi l'importance de la représentation des lofts de Soho, quartier des artistes...) et au récit ( la citation répétée du Cri de Munch pour transmettre l'hallucination croissante de Paul Hackett, les symboles féériques tout droit sortis du Magicien d'Oz tels que l'arc-en-ciel ou la figure du damier ) Martin Scorsese narre les tribulations cauchemardesques de Paul Hackett en y ajoutant une bonne dose d'obsessions personnelles : protagoniste sous le joug du Destin ( comprendre Dieu ), romantisme traité avec réalisme, longues séquences dialoguées filmées en décors intérieurs... La direction artistique est exemplaire, permettant de donner sens à un scénario évidemment absurde mais palpitant car toujours inventif et surprenant.


On peut voir aussi After Hours comme un éventuel conte kafkaïen ( Paul Hackett rejoint la figure de l'individu oppressé du Château, incapable d'atteindre son objectif pourtant simple et comme à portée de main ) ou un trip digne de Lewis Carroll ( l'allusion suggestive au voyage psychédélique présente dans la scène où Paul et la fantasque Marcy partagent un joint renvoie sans doute un peu à Alice in Wonderland ). Il reste surtout une très drôle parabole existentielle prenant comme postulat alternatif la Loi de Murphy ( le premier étant l'objectif monomaniaque de Paul Hackett ), s'affirmant définitivement comme un Scorsese discrètement virtuose, et donc indispensable. L'une des meilleures représentations du monde de la nuit au cinéma : un film impressionnant.

stebbins
10
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le 30 avr. 2015

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