Souvenirs et désarroi cyberpunks

Le souvenir était net, clair et précis : une chambre d'hôpital dans la pénombre, et son jeune patient contraint, souffrant d'un mal languissant ; puis vinrent d'innocents items, marquant une brève fascination, pour brusquement virer au cauchemar enfantin, les usuels compagnons inanimés ajoutant à leur saugrenue mouvance une apparence monstrueuse. J'aurai pu me souvenir de l'icône rouge à deux roues, mais non, c'est bien cette séquence que j'associais inlassablement à Akira version cinéma, et que dire qu'un visionnage dans les règles de l'art s'imposait.

Avec le recul, le fait que Katsuhiro Otomo, l'auteur du manga culte éponyme, ait endossé la casquette de réalisateur/scénariste de son portage sur grand écran n'auréolait que du bon. Or, désarroi : face à l'invariable condensation que suppose l'adaptation (d'autant plus que le film est sorti avant le terme du modèle papier), il semblerait que le résultat ne soit finalement pas à la hauteur de nos attentes, ou des miennes tout du moins.

Si je lui reconnais volontiers d'indéniables tours de force, telle cette fameuse séquence des jouets horrifiques, l'expérience complète et attentive d'Akira n'est point aussi subjuguante qu'escomptée : pis encore, les quelques deux heures de péripéties sont longuettes, et l'on en tire un amer sentiment de déception (nuancée).

De prime abord, celui-ci semble se nourrir du peu d'empathie ressentie à l'égard des figures principales de ce récit cyberpunk post-apocalyptique, et leurs développements respectifs se révèlent à juste titre fort insuffisants : le tandem Tetsuo & Kaneda en est un bon exemple, et bien qu'il ne faille pas non plus dénoncer l'absence d'un véritable rôle « héroïque » au sens shonen du terme (le manga est fort justement catalogué comme étant un seinen éminent du genre), ces protagonistes antihéroïques à souhait ne sont que peu attachants, voire pas du tout.

Certes, Akira instille des évolutions de profils patentes, mais l’on ne saurait se défaire de l’image de macho tête brûlée de Kaneda, qui est au demeurant d’une fadeur notoire, tandis que le devenir « cataclysmique » de Tetsuo échoue à nous faire vibrer.

Un constat fort dommageable, le théâtre de Néo-Tokyo offrant une peinture intrigante d’une jeunesse livrée à elle-même : avec pour toile de fond les désormais classiques recherches scientifico-militaires secrètes (à l’éthique discutable) et une structure politique teintée de corruption et autres conspirations, Akira ne manque pas d’épaisseur quant à sa portée scénaristique, au point de verser également dans les thématiques du fanatisme religieux et autres mouvements révolutionnaires.

Sans virer jusque dans l’exposition tout juste divertissante, le long-métrage de Katsuhiro Otomo ne manque ainsi pas de cachet, le tout étant alors rehaussé d’une patte formelle à tomber : à juste titre, Akira arbore un graphisme parfaitement à l’épreuve de sa composante apocalyptico-épique, et donc à l’épreuve du temps qui passe. À l’instar de la maestria des studios Ghibli, encore qu’il s’agisse ici d’une prestation de premier ordre mais différente, car plus « erratique » au regard de son sujet, le film en met plein les mirettes, de quoi occulter avec efficience une BO moins probante (et surtout pas aussi régulière).

Bref, on serait bien en mal de ne pas accorder à Akira un statut d’œuvre culte, mais une telle dénomination tient davantage à son support originel, qui lui ne souffre pas du « carcan » de la pellicule : en ne développant pas avec autant de moyens les tenants et aboutissants de son récit, le long-métrage souffre au même titre que Tetsuo d’un mal bien connu des adaptations portées au cinéma, à savoir le souci de la comparaison avec Akira pour l’un... et Akira pour l’autre.