Un film qui m'avait déjà emportée la première fois : deux grands animaux de théâtre s'affrontant à la ville sur un texte de Molière, il y avait de quoi se réjouir. Le scénario, malin, prépare le duel final avec une science consommée de la narration... la vie vient nourrir le théâtre comme le théâtre nourrit la vie, en délicatesse, subtilement, mais également avec une violence à peine contenue parfois. Et les questions qui se posent alors sont fondamentales : s'interroger sur la nature de l'art, c'est s'interroger sur la vie, notre rapport à la réalité, la perception du monde, les filtres qu'on lui impose... autant de sujets cruciaux que Luchini et Wilson incarnent chacun à sa façon frôlant la perfection. La première fois, j'avais trouvé que le second en remontrait au premier et s'imposait de la tête et des épaules. Cette fois, je n'en suis plus aussi certaine; la rouerie de Luchini commence à prendre sens pour moi et à effacer peu à peu les pénibles moments télévisuels qu'il m'a fait vivre dans les émissions littéraires où il était venu jouer les trublions au cours de ces 25 dernières années au moins. Il m'exaspérait et me désolait à la fois. Suffisamment de bonnes performances au cinéma m'ont permis de lui donner une chance, dirait-on. Voilà quand même un acteur qui a eu le plus grand mal à s'effacer derrière ses rôles, mais, avec l'âge, c'est chose faite, pour le plus grand bénéfice du spectateur, délivré de la personne et désormais touché par l'artiste. Malgré tout, Lambert Wilson impose sa stature de commandeur, même dans la veulerie de son personnage; d'autant que j'ai eu la chance inouïe de le voir sur scène récemment dans le Misanthrope, précisément, et que la représentation réelle est venue nourrir l'illusion cinématographique, dans un dialogue ô combien fertile ! Mes petits neurones en vibrent encore de plaisir ! Et ça, c'est une chance inégalée : donner à la fiction l'épaisseur du réel par l'expérience vécue, en un trompe-l’œil compliqué qui a tout pour me réjouir. Bref bref bref, quelle chance on a, ici en France, d'avoir à la fois ce patrimoine littéraire historique et des interprètes vivants capables de se hisser à sa hauteur ! Et des cinéastes qui font confiance au public pour continuer à faire vivre cette culture qu'on dit moribonde ! Quand j'entends les élèves de terminales littéraire me dire qu'ils ne peuvent plus lire Molière dans le texte, ça me fend le cœur pour eux, parce que cette jubilation née de la connivence avec notre héritage culturel pourrait se perdre si on n'y prête garde et je ne crois pas qu'un jeu vidéo pourra jamais remplacer cette qualité de bonheur tout à fait propre à notre vécu de français passé par les bancs d'une école de la République apte à nous transmettre cet immense bagage des siècles passés. Et encore, je n'ai rien d'une lettrée dopée au jus de Sorbonne. Mais quand même, je souhaite à tout le monde cette cure de culture revigorante et pleine de maestria. Tiens, ça me donne envie de revoir l'excellent Molière, avec Romain Duris. Puis Ridicule...