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Empathie/émotion, personnages/acteurs cachet réalité: au top !

Dans la continuité de MEAN STREETS, ou même de WHO’S THAT KNOCKING AT MY DOOR, ALICE N’EST PLUS ICI s’apparente à une sorte de cinéma immersif ou le cinéaste chercherait à retranscrire les mœurs d’une époque et par extension, une représentation de la femme au sein d’un microcosme donné. Il capte pour cela, ces petits moments anti-spectaculaires qui constituent la réalité d’un quotidien, sans enjeux autres qu’intimes et/ou d’évolutions personnelles. Par contre, le milieu très masculin italo-américain fait place à une Amérique semi-urbaine et prolétaire, dans laquelle Scorsese transpose la description d’un univers à celle d’une personnalité complexe, toujours à travers quelques personnages.Toutefois, ceux-ci sont bien plus identifiables ici que dans les deux films sus-cités.


Le cachet supplémentaire vient de l’émotion naissant dans l’empathie envers Alice, grâce à l’exceptionnelle Ellen Burstyn ainsi qu’aux acteurs lui donnant la réplique, soutenus par l’écriture fine de Robert Getchell et l’orchestration précise et bien plus subtile qu’à l’accoutumée, de Scorsese. Ces éléments mis à bout font d’Alice un personnage inoubliable, un manifeste d’une époque, un emblème intemporel des aspirations et revendications féminines.
La question des rapports homme/femme est abordée par le cinéaste dès son premier film: WHO’S THAT KNOCKING AT MY DOOR, dans lequel il décrivait le quotidien de jeunes italo-américains et observait une des romances les plus singulières du cinéma. Conclusion, une vision assez pessimiste, réductrice et manichéenne : la Femme ne peut être que Maman (celle qui réclame l’amour de l’homme, puis prend soin de lui), ou Broad – putain en français (toutes les autres).
Scorsese développe ce constat dans son second film: BOXCAR BERTHA. Bertha, bout de femme devenue gangster puis prostituée, y évoluait sous l’influence d’hommes divers. Bien que placé dans un contexte absolument pas italo-américain, Bertha s’identifiait clairement à une broad, dans le sens ou elle demeurait incapable de materner d’une quelconque manière son entourage.


Dans MEAN STREETS, revenant à l’emblématique New York et centré sur les aspirations mafieuses de personnages masculins, Teresa – seule femme forte (maman) du film – est pleinement consciente de l’absurdité et du manque de nuances de ce rapport maman/putain dont elle est « victime », et veut s’en extirper; partir habiter uptown. Mais… Cette indépendance est malheureusement un but inatteignable. Elle appartient à ce microcosme, et ne pourra jamais s’en échapper.
ALICE N’EST PLUS ICI est une somme de ces trois films, rassemblant le point de vue binaire de WHO’S THAT KNOCKING AT MY DOOR et l’absence d’échappatoire de MEAN STREETS, tout en étant un miroir de BOXCAR BERTHA, en termes d’illustration et de représentation de la femme dans le cinéma de Scorsese.
Alice construit ainsi sa vie dans la poursuite de ses rêves. Comme tout le monde, certes, mais plus particulièrement les Américains. C’est ainsi que dans le prologue du film, ses aspirations sont définies dans une parodie fantasmagorique mais réaliste du Magicien d’Oz – emblème de l’imaginaire américain. Mais une ellipse incroyablement judicieuse viendra prolonger la réalité suggérée dans l’intro et nous faire rentrer de plein fouet dans les obsessions de Scorsese. Alice sera donc la housewife soumise de Donald, puis, à la faveur du sort, la mère de son propre fils Tommy. Elle tentera ensuite d’être autre chose: en se consacrant à son travail de chanteuse, en délaissant son fils, en fréquentant Ben (Harvey Keitel)… Mais celui-ci, plus jeune qu’elle de 10 ans, cherche en quelque sorte une femme-mère de substitution. Cette tentative de se broadiser est complètement ineffective, et le retour de bâton, violent.
La relation qui se nouera par la suite entre Alice et David naîtra d’une certaine empathie réciproque qui se muera en sentiment amoureux. Pourtant là encore, le rapport est le même, Alice maternant ouvertement son David, et acceptant d’un autre coté, d’être dépendante de lui.


ALICE N’EST PLUS ICI illustre un versant certes moins tragique, mais tout aussi fataliste de ce déterminisme binaire appliqué aux femmes dans le cinéma de Scorsese.
Malgré tout, Alice est un personnage complexe, charismatique et nuancé, soumis aux hasard des rencontres et évènements, et qui façonne souvent son propre destin par l’indécision (rappelant les personnages du cinéma de Jane Campion, tels Ada ou Isabel). L’interaction avec l’autre est ce qui la définit. Les émotions qu’elle en retire lui permettent d’avancer, de faire de nouvelles rencontres qui la troubleront à nouveau et bis repetita. Ces interactions en question, on les doit à une galerie de personnages très variés, existant bien au delà de leurs échanges avec Alice, palpables à travers un vécu suintant par delà leurs regard, mots ou actions.
Ces vécus divers troublent systématiquement Alice, et par extension/identification, nous. L’interprétation moderne et précise d’Ellen Burstyn lui permet d’orchestrer et de transformer chaque dialogue en émotion, chaque situation en l’expression d’une facette de la personnalité d’Alice.


Il faut donc féliciter la direction d’acteurs de Scorsese, les interprètes, ainsi que l’écriture de Robert Getchell. La communion de ces talents crée une indéniable empathie envers tous ces personnages, Alice étant du coup, la plus affectivement et socialement étoffée. Puis, le drame favorise la sympathie, et enfin le happy end relatif finit de nous achever; ALICE N’EST PLUS ICI possède ainsi ce cachet émotionnel qui fait souvent défaut dans les films de Scorsese – ceux-ci se concentrant cela dit, bien plus sur la description d’un univers, que sur le portrait de personnages.
On pourrait presque penser qu’ALICE N’EST PLUS ICI n’est pas un film de Scorsese.
Car avec ce film, le réalisateur n’est pas responsable du script; ces fameux effets de style dynamiques sont atténués; idem pour la musique, illustrant habituellement l’image par un adéquat contrepoint, Pas de new York, pas de mafia, pas de Robert de Niro (mais Harvey Keitel en texan), (presque) pas de violence… En gros, les gimmicks du cinéma de Scorsese s’effacent devant leur sujet.


ALICE N’EST PLUS ICI est pourtant une oeuvre tout à fait cohérente dans la filmographie de Scorsese, peut-être celle qui exprime le mieux certaines de ses obsessions… En tout cas, moi qui suis si attaché aux notions d’empathie et d’émotion au cinéma, qui suis sensible au réalisme et à l’immersion dans une oeuvre, ALICE N’EST PLUS ICI est clairement mon film préféré de Martin Scorsese.


ALICE N’EST PLUS ICI a été chroniqué dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Martin Scorsese par le Festival Lumière 2015 !

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le 18 sept. 2015

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