Ridley Scott aime les références littéraires. Cela tombe bien, moi aussi.
Et c'est la référence du jour, après le Nostromo de Conrad et le mythe de Prométhée qui décrit le mieux mon ressenti changeant tout au long du film.


Dans Alien: Covenant, nouvel opus de la saga préquelle d'Alien, l'un des personnages joués par Michael Fassbender - décidément la nouvelle égérie du mythe bestiaire - cite le poème Ozymandias en contemplant les ruines de la société qu'il a réduit à cet état en créant les Aliens. Cette référence en totale adéquation avec la scène - des voyageurs contemplant les ruines d'anciens souverains morts et disparus - est une totale réussite qui me sort de la torpeur première du début du film.
Jusqu'à ce que le personnage attribue ce poème à ... Byron. Stupeur, colère, démystification, désillusion: JE HAIS CE FILM !
Puis vient la correction par le même Fassbender ; une correction qui a du sens en tant que correction et qui redonne le sourire perdu. Le poème est bien de Percy Shelley, certes grand ami de Byron.


                                                         ***

Alien: covenant est à l'image de cette référence distillée dans le film.
On part avec l'esprit de voir un Alien. On lui trouve un syndrome "Réveil de la force", autrement dit, on remarque vite des similitudes qui calquent Alien: Covenant sur Alien. C'est Alien. En moins bien. On s'ennuie sec et on déplore le talent perdu des volets passés: Ô Ozymandias !
Puis, le film prend une toute autre tournure, extrêmement intéressante: on retrouve l'androïde du Prometheus. C'est à ce moment-là que le film qui porte le nom de ce dernier trouve sa pleine justification ! Alien: Covenant, c'est Prometheus. En mieux. On reprend confiance en ce nouvel opus.
Jusqu'à ce qu'on se retrouve dans une accumulation d'action et devant une créature bien trop visible, plus proche de celle de Cameron que de celle du réalisateur d'Alien: Covenant. Stupeur, colère, démystification, désillusion: JE HAIS CE FILM !
Puis la nouvelle tournure du film née peu avant reprend le dessus pour nous dire que l'essentiel est ailleurs. Ridley Scott nous fait comprendre qu'il a subtilement modifié la focalisation de l'intrigue des Alien. Le héros, le centre de l'attention, ce ne sont pas Elisabeth Shaw ou Daniels, les Ripley's like. Le monstre, ce n'est pas le xenormorphe de la saga originelle. Le héros est également le monstre: c'est David, l'androïde. On comprend alors que la préquelle d'Alien conte le combat de la créature de l'Homme qui veut à son tour être créatrice. D'où le nom de David choisi par l'androïde: il se conçoit lui-même comme l'humble affrontant le puissant. Un puissant qu'il a détruit, qu'il s'apprête à détruire encore, qu'il compare au puissant Ozymandias, Roi des rois, qu'il faut craindre, et qui n'est plus qu'une statue de pierre attaquée par les grains de sable. Mais en fait, David mériterait de porter le nom de son premier vaisseau d'affectation. Car il tient plus de Prométhée que de David. Il a volé aux hommes le don de créer et crée plus et mieux qu'eux. Il n'est pas le voyageur qui se sent roi face à un roi déchu, il est Lucifer qui veut être Dieu à la place de Dieu. Car David a supplanté la race des anciens, supplante celle des humains et souhaite prendre le pouvoir du créateur inconnu et anonyme de son "père" humain. Dès lors, quand Prometheus nous contait sa victoire sur les anciens et sur les humains, Alien : Covenant se fait récit de son apothéose: David devient un dieu baigné dans le morceau de Wagner qui illustre les dieux nordiques entrant au Valhalla au début de L'Or du Rhin. Seul bémol de cette apothéose: lui qui attribue Ozymandias à Byron peut bien avoir mésestimé ses adversaires humains. Seul l'avenir le dira. Car le film entérine le choix de la préquelle de s'opposer aux happy-ends des volets classiques et laisse David Dieu du Ciel qui surplombe la planète des Anciens, Dieu créateur des xénomorphes.


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On part pour voir Alien.
Et l'on voit un mixte de Matrix et Blade Runner né d'un savant changement du centre d'intérêt.
Le sous-texte littéraire subtil et discret d'Alien s'est mis en figure de proue et le premier plan de slasher cosmique s'est mis en arrière-plan, comme fade élément du décor. De cette inversion des priorités narratives, de cette inversion nietzschéenne des valeurs, naît autant le plaisir du spectateur que sa déception: les nouveaux Alien sont des films trop savants en regard avec la saga originelle plus ancrée dans le ressenti et l'ambiance terrifique. On n'y cherche désormais plus la même chose.
Alien: covenant, c'est Frankenstein mis en abyme, susceptible de multiples lectures: une lecture naïve (la suite de Prometheus avec un androïd fou qui veut créer les Aliens), une lecture romantique (le combat de la créature pour dépasser son créateur et le créateur de son créateur en créant sa propre créature), une lecture biblique (un mélange de David contre Goliath, Lucifer triomphant de Dieu et imposant son Testament. "Testament" étant bien le mot mot biblique pour alliance, contrat entre Dieu et les hommes. "Contrat" qui en anglais se dit "Covenant"), une lecture extra-diégétique ou métaleptique, message directement adressé aux spectateurs ( David n'est autre que Ridley Scott lui-même qui revendique sa paternité des monstres et de la saga et qui s'oppose à cette vieille idée - déjà posée par Ronsard dans sa Préface à sa Francide - qu'une fois publiée, une oeuvre échappe à son auteur. Ridley manipule et enferme son public, rappelant qu'il est seul maître à bord et que les volets passés n'ont pas plus de gloire ou d'importance que celles, vaines, de la statue d'Ozymandias, dépassée, dévorée par le sable).
A nous, spectateurs, de choisir notre piste de lecture ou de refermer le livre, refusant le nouveau contrat de lecture de celui qui, Dieu de la saga Alien, a su ravir en 1979. Car Scott, s'il suit un chemin de croix depuis Prometheus, n'a aucunement l'intention de mourir pour des spectateurs qui s'en lavent les mains.

Frenhofer
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le 30 mai 2017

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