Ridley Scott fait partie de cette caste de réalisateurs qui auraient mieux fait d'arrêter leur carrière bien plus tôt. En train de se muer en vieux con moralisateur - il suffit de voir certaines interviews aux propos limite et son mépris envers les jeunes cinéastes ou le cinéma hollywoodien actuel (accuser les films Marvel d'être des Blockbusters au scénario inconsistant quand toi aussi tu vires au gros film pop corn ridicule et sans âme...) -, ses films deviennent de plus en plus des ratés oubliables, et on commence à se lasser des Exodus ou autres Cartel qui démontrent d'un auteur en bout de course, qui ne sait plus quoi raconter et surtout comment le raconter, et qui surtout essaie désespérément de rester dans le coup.


Sauf que jusque là, tout va bien. Il peut traiter aussi mal des sujets qu'il veut, et ne fait atteinte à personne, si ce n'est sa fierté et son ego, même si sur ce point-là, tout a l'air d'aller encore bien, pépé a des œillères et ignore les critiques avec un chassé encore vif. Après tout, un mauvais film est un mauvais film, mais le voir cracher délibérément sur une saga qu'il a aidé à construire, c'est autre chose.


Parlons donc de la saga Alien. On ne lui en accordera pas la paternité, cette dernière étant celle de Dan O'Bannon, et son appartenance étant tout autant à lui qu'à James Cameron ou Jean-Pierre Jeunet. En décidant d'y ajouter un nouveau canon, Ridley Scott a un devoir de responsabilité, celui d'accepter le fait qu'une fresque appartient autant à l'auteur qu'à son public. Qui plus est, lorsqu'il se doit d'ajouter une suite, en respectant tous les apports ajoutés au fil des épisodes (n'est-ce pas, Neil Blomkamp ?), et que la décision est de faire fi de cela pour se fondre dans la mode du préquel, il se heurte à un nouvel obstacle : l'imaginaire collectif.


Car en décidant d'apporter des réponses auxquelles notre propre imagination de spectateur, lors de son appropriation de l'œuvre, a déjà répondu, c'est comme si papi Ridley nous balançait un bon vieux glaviot en ayant bien visé le fond de gorge. Un peu comme quand on se foutait de savoir comment les rebelles ont eu les plans de l'étoile noire (mais fallait y répondre, tu comprends, y'a des billets à vendre et on a la flemme d'écrire un vrai scénar dans un univers qui se prête pourtant à toute nouvelle création), on s'en fout de savoir qui de l’œuf ou du Facehugger était là en premier. On l'a déjà décidé, on s'est imaginé toute une lignée autour de la race Xenomorphe, et il n'y a pas besoin de foutre quelques sales pattes là-dedans. Alors quand Prometheus, qui aurait juste pu être un film de science-fiction novateur sur le thème des Fondateurs, que l'on adorerait voir d'ailleurs, essaie de mêler dans son gloubi-boulga un délire transformant cette bête devenue mythique dans nos esprits comme une créature de labo créée par un androïde qui se prend pour Dieu, ça passe difficilement.


Non pas qu'on fasse nos puritains fanatiques qui hurlent dès qu'on touche à leur chouchou. Alien3 et 4 s'étaient bien targués de démonter les codes que l'on connaissait, pour les faire évoluer, et on avait joué le jeu, jouissant avec des scénaristes qui nous auront apporté bien de nouvelles émotions. Mais éclater les bases qu'on a construites tous ensemble depuis 40 ans, juste par petit caprice adulescent d'un réalisateur qui a juste envie de dire "Je m'en fous, c'est moi qui choisit", c'est un peu comme George Lucas qui enlève le caractère mystique de la Force pour nous imposer ses médicloriens à la con et par la même occasion sa belle pensée scientologue. Bon, le message est là, il est temps d'entrer dans le vif du sujet et pour cela, quittons la rancœur qui anime notre amour pour la saga Alien, et jugeons le film comme tel.


Si Alien : Covenant était juste un film de S.F n'appartenant à aucune licence, il serait absolument mauvais. Dès le début du film, un accident. Un personnage meurt, tout le monde est atterré, et un seul constat nous vient en tête : cela fait deux minutes trente que nous sommes dans l'aventure, on ne connait personne, et on nous demande déjà de pleurer quelqu'un que le film a l'air de nous marteler comme étant important. Le principal problème résidera donc dans l'écriture des personnages. Trop nombreux, ces derniers ne sont jamais définis, ou alors par des archétypes n'ayant pas suffisamment de charme pour nous permettre au moins de les catégoriser sans en exiger plus, ce qui fait que l'on ne ressent aucune empathie pour eux, et que l'on a jamais envie de s'impliquer dans leurs enjeux. Le film est une coquille vide, où chaque protagoniste va d'un point A à un point B sans que l'on en ait compris le but. Au-delà des incohérences techniques, prétextes à rajouter des scènes soi-disant impressionnantes mais qui ne font rien ressentir, il ne se passe jamais rien et expliquer le schéma narratif à la sortie de la salle est quasi-impossible tant on n'a rien compris à ce fouillis qui de toute façon ne nous intéressait pas.


Le caractère vide et sans implication du spectateur est à mettre sur le même niveau qu'un autre problème majeur : il n'y a absolument aucune ambiance. Non, un film Alien n'a pas forcément à baser son climat sur le suspense malsain, sur une pression constante nous créant du mal-aise à mesure que l'on avance dans l'appréhension. Il peut tout à fait avoir un ton propre, un ambiance qu'il décidera d'avoir, et que l'on acceptera ou pas. Le problème est qu'Alien : Covenant n'en propose aucune. Au-delà de la photographie morose (Prometheus avait au moins ça pour lui, il était putain de beau !) qui se veut contemplative mais n'arrive pas à proposer le moindre plan sur lequel la composition aurait une valeur quelconque, tout est aseptisé, édulcoré pour que le film ne fasse qu'avancer comme une fuite en avant vers son générique. La musique est inexistante ou trop poussive. On pense à Life, véritable série B assumée sortie il y a peu qui faisait parfaitement le taf parce qu'elle en avait compris l'essentiel : autant avoir peu de personnages mais bien les développer, et soigner au possible son ambiance. Donc en gros, sur l'échelle d'un film correct, Ridley Scott est en dessous du niveau de zéro : il s'est contenté de filmer des images, dans un ordre aléatoire, sans donner de consignes à son monteur et en se disant qu'on s'en fout, tant qu'on voit des Xenomorphes, le public sera content. Rappelez-vous Terminator Genisys : on a certes revu Schwarzy, c'est toujours cool de revoir Schwarzy, mais on était pas content pour autant.


Maintenant, il sera de bon ton de revenir dans la saga Alien, histoire de causer un peu scénario. Inutile de penser que le ton de l'écrit va changer, c'est évidemment très mauvais. Pire encore, parce que l'histoire de l'androïde David, qui avec trop de libre arbitre va créer de quoi décimer une population entière pour créer ce que lui appelle la perfection, utiliser le mythe des Fondateurs de la race humaine pour le retourner contre eux en faisant une critique adroite de la déification auto-proclamée des Hommes et de l'eugénisme, ça pourrait être super intéressant. Dans les mains d'un réalisateur talentueux, il est sûr que l'on aurait là un sujet passionnant qui nous ferait débattre des heures à la sortie d'une séance ravissant toutes nos attentes. Alors pourquoi ne pas avoir fait ce film-là ? A quel moment s'est-on dit qu'on pouvait intelligemment mélanger ce thème-ci à une saga très fournie en codes ? Parce qu'au final, si on avait l'impression que Ridley Scott avait violemment buté son propre mythe avec Prometheus, on peut carrément affirmer qu'ici, il s'amuse à pisser sur son cadavre histoire de voir si ça fera des remous.


Alors donc on a droit à des Xenomorphes de toute sorte. Ils vont généralement très vite - le temps de gestation, on s'en bat les couilles -, ils peuvent se propager par l'air si on marche sur des champignons, ils aiment bien se caler sous des projecteurs histoire que quand ils sont dans le champ, tout soit sur-exposé, on croirait presque, à voir à quel point ils sont ridicules, que Ridley Scott a décidé lui-même de les moquer ainsi, là où il affirme avoir fait un pur film de monstre, de terreur et de suspense. Non, papi, t'as réalisé une grosse daube, on veut pas voir les suites que tu prépares, ou encore que ton poulain sud-africain crache lui aussi sur la continuité d'Ellen Ripley. En fait, on veut juste conserver la tétralogie Alien, celle qui nous éclate à chaque fois et qu'on adore faire découvrir, qu'il n'y ait plus le moindre canon à cette franchise qui s'est gangrenée de la faute de son propre instigateur, et qu'on nous foute la paix avec ces sagas qui ont forgé le cinéma moderne. Ou alors, sabote ta carrière, fais Gladiator 2, où Maximus revient après dix siècles d'hibernation dans un caveau situé sous la fontaine de Jouvence. Disney a les droits, ils peuvent même te l'inclure dans le MCU, tu te feras des gros billets et nous, on se marrera comme des cons.

ThierryDepinsun
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le 23 mai 2017

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