Bonjour Monsieur (Madame?) l’Alien, hier encore, on ne se connaissait pas, enfin pas officiellement, et pourtant moi je vous avais déjà observé de loin, depuis longtemps, très longtemps.
D’abord timidement, à travers les bandes annonces qui passaient à la télé à grand coups de “ne manquez pas jeudi soir notre soirée frissons avec ce film interdit aux moins de 12 ans”.


Ça tombait bien parce que j’avais justement atteint le douze âge depuis quelques semaines.
Ça tombait mal parce que le même soir ma maman me proposait de m’emmener au ciné voir un disney, et moi j’ai un faible pour le ciné, pour disney et pour ma maman aussi (parler de maman dans une critique sur Alien, c’est on ne peut plus adapté).


Alors tu vois, Monsieur-dame, j'avais déjà raté notre premier rendez-vous.
La suite de notre histoire, c’est une succession d'occasions manquées: toi passant à la télé, et moi ne la regardant pas à ce moment.
Soit parce que je n’avais pas le droit de la regarder, ou pas le choix de la chaîne, soit parce que je n’étais pas là, soit parce qu’étant là je préférais d’autres programmes.


Et puis c’est devenu une habitude de t’éviter, toi et tes successeurs.
Comme si on refusait de prendre un train sous prétexte qu’on l’avait déjà loupé une fois. Raisonnement idiot hein? Oui on dit jeune et con, il faut croire que ça y est j'ai passé ce stade...


Pourtant j’ai rencontré bon nombre de tes adeptes, j’ai grandi en découvrant de plus en plus de choses qui se réclamaient tes héritiers, ou qui ne le disaient pas mais s’inspiraient de ta vie.
De plus en plus, j’ai croisé tes images, ta musique, ton histoire.
Tant et si bien que sans jamais t’avoir vu je te connaissais déjà.


Ces années d’attente, de cache-cache, nous ont menés à ce jour où j’ai fini par me dire qu’il était temps.
J’avais un peu peur, les mains moites, les tempes battantes, les lèvres pincées et les sourcils froncés. C’est que j’avais fini par redouter cette confrontation vois-tu.
Ce n’était plus ton côté horrifique qui me faisait reculer, non c’était ton statut de film culte et ma condition de spectateur en retard et sans appétence pour le genre dont tu es l’étendard.


Et puis voilà l’heure de la confrontation a sonné.
Des années de préparation pour un moment, et quel moment.


Là encore tu joues avec mes nerfs: j’attendais un coup de poings, tu débutes avec calme et maitrise.
Tu installes ton décors comme s’il avait attendu toutes ces années que j’y pose mes yeux fascinés: un vaisseau spatial vide où s’éveille lentement un équipage que tu présentes en un tour de main.
Tout semble fluide, évident.
10 minutes de film sont passées et je suis déjà convaincue, emportée par une atmosphère que je ne pensais pas trouver ici ou pas aussi vite.
Cette facilité de la narration, je ne l’avais jamais soupçonnée et elle m’éclate au visage, elle y agrippe ses tentacules.


Et puis tu commences à montrer ta carcasse: là aussi tu te dérobes, et il faut que l’équipage réduit à la taille de fourmis pénètre dans ton antre pour qu’on mesure la menace même si pour l’instant elle n’est qu’une carcasse vide. Une fois de plus l'image parle plus que tous les dialogues et impose l'idée de la menace.
Là, comme tu le fais depuis toutes ces années tu joues les anguilles, tu n’apparais pas immédiatement, et quand enfin ta fleur explose, l’image s’arrête pour mesurer une fois de plus son effet.


Oui Monsieur/dame l’alien, je reconnais que dans la première phase de notre histoire c’est en grande partie de ma faute si notre rencontre a été sans arrêt ajournée, mais je remarque enfin que toi aussi tu sais rester discret et entretenir l’attente.
Et même quand on croit te connaitre, tu évolues, tu te réinventes pour mieux venir nous surprendre.


Jusqu’au bout, tu ne cessera d’utiliser l’ombre, de ne jamais apparaitre en pleine lumière, et cette discrétion, cette façon de ne pas occuper l’écran t’honorent.
Tu n'as pas besoin de te montrer puisque tu habites même l’espace où tu n’apparais pas; exactement comme ton histoire faisait partie de ma culture inconsciente depuis toujours.
La confrontation avec Ripley est aussi inévitable que notre rencontre: tu planes autour d’elle comme tu as survolé ma vie, et ce suspens me plait, comme il en a séduit tant d'autres. Je rejoins la masse, sauf que j'aurai toujours le souvenir de notre jeu de cache cache associé à la beauté de la découverte tardive.


Je suis honorée d’avoir pu faire ta connaissance et d’avoir pu apprécier ton univers.
Je suis rassurée de voir que malgré le temps ton pouvoir de séduction reste intact, et je vais te faire une confidence, je suis intimement convaincue d’avoir eu raison de ne pas forcer notre rencontre.
Une fois qu’on avait raté l’occasion de grandir ensemble, je pense que le mieux était de se laisser le temps de mûrir pour mieux appréhender certains aspects qui auraient échappé au moi d’il y a encore quelques années. Ça permet aussi de s’affranchir de l’effet de groupe, et d’avoir le sentiment de découvrir un trésor seule.
Tu sais, ce sentiment d’être privilégié parce qu’on aurait privatisé le tombeau de Toutankhamon, comme si on était ce bon vieux Howard, en oubliant que des milliers de visiteurs sont passés avant nous.


“Merci pour ce moment” comme dirait une presque pas première dame, parce que si je ne fais pas partie des gens qui te connaissent depuis toujours, je peux dire que moi aussi indirectement j’ai grandi avec toi.

iori
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 111 - films vus (hourra!!!!) Bon c'est déjà un début non?

Créée

le 4 oct. 2017

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iori

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