ATTENTION : le texte qui suit dévoile des passages clés de l’intrigue du film. Ne lire la critique que si vous avez vu le film.

Haneke drape son film d’une objectivité apparente. Il rejette tout sensationnalisme et tombe dans le piège qui stipule que le naturalisme épuré est la meilleure représentation du réel. Il tue dans l’œuf les larmes, les cris, les grands élans émotionnels pour aboutir à la moelle dramatique d’une situation : la décrépitude d’une femme, l’isolement d’un couple, l’amour face à la mort. Haneke en réalisateur sévère nous refuse, ou plutôt nous complique, l’empathie en distançant autant que possible ses personnages. Cela passe notamment par des dialogues qui sont assurément l’une des énormes lacunes du film. Si littéraires qu’ils perdent toute vraisemblance (certes il n’écrit pas dans sa langue maternelle mais l’émotion du spectateur n’est pas corrélée à l’effort du réalisateur).

Haneke a confiance en son cinéma et ose. Le montage, l’utilisation répétée de plan-séquences, le mouvement lent et laborieux des personnages dans l’espace donnent toute la dimension de la vie du couple octogénaire. Mais cela confère finalement des angoisses au spectateur : Quand va-t-il couper cette scène ? Non, mais tu vas voir qu’elle va lire le bouquin jusqu’au bout ? Et là, il va le filmer longtemps couper les fleurs d’une plante ou capturer un pigeon ? Coupez M. Haneke ! … s’il vous plait.

Si, comme vous commencez à le comprendre, le film a rebuté votre serviteur, il l’a subjugué sur un point, sa mise en scène du son. Le réalisateur qui avait pensé titrer son film « Quand la musique s’arrête » utilise, comme il en a l’habitude, la musique « en situation ». Le son est à la fois moteur vital et lien : d’abord la musique (comme sonorité la plus noble) puis la parole puis l’ultime onomatopée. Le ciment du couple est avant tout la musique classique. Lorsque l’un des deux ou les deux disparaissent du champ, la parole demeure et continue de faire le liant. Le son est le support d’une continuité spatiale comme temporelle. La musique est le vecteur du souvenir, cf. cette très belle scène de remémoration d’Anne en train de jouer au piano. Le silence (donc la mort) encadre le film, les deux génériques étant complètement muets. Ainsi, c’est à la disparition de toute possibilité de dialogue sonore entre les deux personnages que la vie s’évanouira également. C’est un énorme travail sur le son hors-champ que propose Haneke.

Plusieurs critiques ont applaudi la prise de position politique de Michael Haneke pro euthanasie. Quelque soit la conviction du réalisateur autrichien, il ne filme pas l’amour mais l’adversité. Comme la claque le laisse supposer, le geste final n’est pas un acte d’amour mais celui d’un égoïste excédé, épuisé. Ce n’est pas une euthanasie mais un meurtre. Georges aurait pu laisser s’évanouir sa femme dans la douceur d’un cocktail chimique, elle partira dans les soubresauts d’un étouffement. Michael Haneke, à qui l’on a tellement reproché la caméra clinique et froide, doit probablement se penser « désillusionné mais tendre » avec Amour. Il est sadique et sans étincelle. Haneke condamne d’une main (l’horreur de la fin de vie) et de l’autre, par « supplément d’âme » soulage et euthanasie. C’est un cinéaste tyrannique, certes virtuose incontestable mais à l’esprit lourd et marécageux. Note positive finale oblige, Jean-Louis Trintignant est immense, il sublime des dialogues pourtant si peu gracieux.

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Auteur : Maxime
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le 13 févr. 2013

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