Traduire l’essence de l’âme russe sans trahir son âme, telle fut l’ambition et l’éblouissante réussite de Tarkovski en réalisant Andreï Roublev, oeuvre qui tient à la fois de la fresque historique spectaculaire et de la geste intime.
Le cinéaste dresse un constat d’un régime communiste reniant les racines spirituelles russes, se réfugie dans sa poésie panthéiste et dans un mysticisme chrétien fasciné par le paganisme.
Andreï Roublev est une oeuvre essentielle en ce qu’elle parle des âmes froissées et des corps fracassés, en ce qu’elle invite le spectateur à adopter, par le truchement de son personnage éponyme, le regard mélancolique et pétri de compassion par son auteur.
Ne pouvant l’évoquer sans celui qui l’incarne, l’acteur Anatoli Solonitsyn, extraordinaire d’intensité, de force et d’hésitation, de courage et de faiblesse véritablement habité…
Andreï Roublev est une oeuvre inspirée en ce qu’elle invite l’esprit et la beauté des uns à répondre à la brutalité des autres, en ce que l’espoir et la foi finissent par l’emporter sur la désespérance et la souffrance, en ce que les mains et les visages des humbles sont pénétrés de la Grâce et de la miséricorde des anges.
Andreï Roublev est une oeuvre précieuse en ce qu’elle fait parler avec une tendre sonorité et profonde sensualité la pluie et la flore des ruisseaux, les oiseaux et les chevaux, en ce qu’elle entretient un lien organique et mystérieux avec la neige et le feu, le bruissement des arbres et la caresse du vent, la brume et le temps.
La caméra se fait pinceau dévoilant par magie les couleurs manquantes, comme parfums que l’on imagine, le monde se crée sous nos yeux où défile scènes joyeuses, barbares, triste ou apaisées.
Andreï Roublev est, en toute simplicité, une oeuvre intimidante, sensuelle et déroutante.