Angoisse
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Angoisse

Film de Bigas Luna (1987)

Spoilers :


Une classique de l’horreur relativement méconnu d’après ce que j’ai compris. C'était vraiment sympa et le concept a le mérite d'être original et intéressant dans la proposition de cinéma qu’il offre. On débute le film avec une intrigue de film d’horreur classique : un infirmier, travaillant dans une clinique spécialisée dans l’ophtalmologie, assassine à tour de bas, sous l’influence de sa mère (la référence à Psychose semble assez évidente), en égorgeant ses victimes pour les priver de leurs yeux qu’il s’accapare pour son propre compte. Au premier tiers du film, il y a un retournement majeur : la caméra effectue un mouvement pour dévoiler toute la supercherie, à savoir que l’intrigue à laquelle on a assisté jusqu’ici est en réalité un film dans le film, diffusé dans une salle de cinéma. L’originalité de l’œuvre est de dédoubler sa mise en abyme du cinéma sur différents niveaux : le film dans le film, la salle de cinéma dans la salle de cinéma (deux fictives dans la mesure où le tueur pénètre dans une salle de cinéma au bout d’un moment), la peur dans la peur (un « vrai » tueur en série pénètre et tue dans la « vraie » salle de cinéma dans laquelle les spectateurs regardent les méfaits du tueur « fictif » sur grand écran - ça va vous suivez ?). A partir de ce postulat, le film de Luna offre un montage qui tend à brouiller les pistes en intégrant la fiction dans la réalité et en interrogeant le rapport du spectateur aux émotions qu’il est susceptible de ressentir à regarder des œuvres brutales et dérangeantes, du plaisir à la répulsion : les deux personnages principaux sont deux spectatrices, les héroïnes du film, chacune ayant un rapport radicalement différent et opposé à ce qu’elles regardent, l’une apprécie, l’autre non, la première ressent une certaine forme de désintérêt mêlée à une vague jubilation devant ce qu’elle regarde quand l’autre est révulsée. Le film est à la fois un exercice de style assez jubilatoire dans son principe mais aussi une réflexion théorique et éthique sur les émotions que l’on cherche à ressentir au cinéma, en allant voir certaines catégories de film. Sous cette considération, la symbolique des yeux apparaît alors évidente. Le cinéaste, par cet aspect, se révèle en avance de 10 ans sur Haneke, qui sortira Funny Games en 1997 qu’on peut considérer comme le pendant autrichien du film de Luna dans son fond, plus moralisateur, moins ambigu, mais peut-être aussi plus radical.


En outre, on voit surtout à quel point il a inspiré Craven pour Scream, que ce soit pour le côté mise en abyme ou pour de simples scènes et passages du film : la scène des toilettes anxiogène de Scream renvoie à celle d’Angoisse, qui l’est tout autant. Autre point : son côté assez hypnotique ne m'a pas déçu : trois salles de cinéma, dont deux fictives et une réelle (la nôtre) c'était plutôt ludique et presque vertigineux. Ou comment l’ambiance d’un film réussit à s’ingérer dans la réalité (c’est tout le propos de Luna).


Ces considérations faites, et pour finir sur des remarques plus négatives, je regrette que le résumé que j'ai lu m'ait directement spoilé le twist du milieu : dès le début je savais de quoi il en retournait et ça m'a un peu sorti du film. L’autre problème est l’interprète de la mère : Zelda Rubinstein. C’est l’actrice qui joue la medium dans Poltergeist et quand on la voit, on a en tête son rôle particulièrement marqué du film de Hooper. Du coup, avec sa toute petite taille, sa bouille de grand-mère sympathique, et sa petite voix fluette, on ne la prend pas au sérieux parce qu’elle ne véhicule aucun malaise, aucune angoisse et provoque même un agacement relatif alors qu’il est évident que Luna l’a castée pour provoquer ces émotions qu’elle ne réussit pas transmettre. C’est assez dommage parce que la première partie, même s’il est révélé par la suite qu’il s’agit d’un film dans le film, opte déjà pour le premier degré avec sa violence et son ambiance glauque. Dernière chose : j'avoue que j'aurais préféré un film plus stimulant, "nerveux" dans l’horreur qu’il propose. Cela dit, le final est tout de même particulièrement réussi.

Kahled
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le 13 sept. 2017

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