Alors qu’on passe notre temps à fustiger le formatage stérile de la majorité des productions, on peut avoir des scrupules à faire la fine bouche devant les audaces bienvenues d’un tel film. Délicate mission que celle de l’audace…


Annihilation voit Alex Garland, fort du succès d’Ex Machina, passer à la vitesse supérieure en matière de SF : là où son budget limité le cantonnait au huis clos, il prend désormais de larges libertés par une sortie vers l’extérieur, pour un trip dans lequel le décor sera pratiquement le personnage principal.


Dès son programme photographique, Annihilation est un pari : sorte d’Avatar malade, il propose une symbiose étrange entre la nature primaire et les innovations promises par la SF : le vert côtoie ainsi les couleurs les plus variées et une irisation poisseuse, l’air est infecté de lens-flares continus, et toute l’atmosphère semble ainsi contaminée par une imagerie malade. Le cinéaste va plus loin, puisque les échanges eux-mêmes, assez atones, donnent une tonalité mate à cette expédition dans laquelle « I don’t know » prend le statut d’une devise.


La SF a souvent joué cette carte du trip aux confins de l’étrange, permettant de brutaliser nos représentations étriquées d’humains, croyant naïvement êtres ancrés dans le réel. Le passage vers un ailleurs (la Stargate de 2001, citée ici à petite échelle, la Zone de Stalker, Interstellar, évidemment) est la colonne vertébrale du genre. Et c’est sur cette trajectoire que le film marque des points. La précision du cadre (très belles scènes initiales lors des retrouvailles du couple), la noirceur des nuits, l’avancée dans un décor à la fois figé et en pleine mutation permet l’émergence d’un véritable intérêt. L’idée d’une structure mutante par reflet prismatique est intéressante, et les inventions en termes de modification génétiques occasionnent un bestiaire original, entre la beauté florale et l’effroi gore.


Reste à intégrer des personnages dans cet espace. Le récit ne manque pas non plus d’ambition sur ce sujet, et propose régulièrement, par flash-backs à multiples fonds, une alternance avec l’histoire intime du couple principal. On pense bien évidement à la structure très travaillée de Premier Contact qui permettait une symbiose tout à fait pertinente entre ces deux dimensions du surnaturel et de l’intime.


C’est ici que se joue le véritable cœur du film : il oppose à la mutation spectaculaire le facteur humain, qui serait celui de l’autodestruction. Le groupe exclusivement féminin (probablement pour pallier la brutalité inhérente aux hommes partis et jamais revenus avant elles) est un concentré de tout ce que l’être humain peut s’infliger face au deuil, à la maladie ou à la dépression. Le shimmer serait ainsi une excroissance visuelle de leurs propres démons.


L’idée est intéressante, et permet au récit de dépasser le simple survival, même si les attendus du genre seront honorés, entre gore horrifique et attaques de gros monstres. Ces scènes elles-mêmes sont assez maîtrisées et évitent bien souvent le ridicule qui les menace.


Mais tout voyage suppose une destination. Et c’est là que la mécanique s’enraye. Annihilation est courageux dans sa radicalité, mais paradoxalement assez timoré dans sa propension à laisser toutes les pistes ouvertes. Alors que le face à face final est, par sa longueur et son étrangeté, agréablement dérangeant et lorgne du côté d’Under the skin, (notamment par la BO de Geoff Barrow qui joue bien a carte de la dissonance) l’épilogue frustre largement.


Pas parce qu’il laisse des questions en suspens et nous conduit vers un nouveau couple d’Adam & Eve post humains, mais parce qu’il cherche, justement, à jouer la carte du twist et de la conclusion. Les dupplicate, qu’on nous avait annoncés lourdement bien trop tôt, la destruction par le feu, crée un mélange étrange et déséquilibré dans lequel l’expérimental ne s’affranchit pas d’une écriture traditionnelle.


Entre ces différents entrelacs, la greffe a du mal à prendre.


Le récit était lourd de promesses, et d’explorations sur les méandres insondables de la psyché humaine : Annihilation s’attache malheureusement davantage aux reflets graphiques qu’à ces réflexions philosophiques.


(5,5/10)

Sergent_Pepper
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le 13 mars 2018

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