Il faut d’abord évoquer les références, s’y confronter parce qu’elles sont évidentes, elles sont inévitables, voire encombrantes. Elles sont énormes. Jeff VanderMeer, auteur de la Trilogie du rempart sud débutée en 2014 avec Annihilation (suivi d’Autorité et Acceptation), connaît manifestement ses classiques (Arthur C. Clarke, Philip K. Dick, Isaac Asimov ou les frères Strougatski, et surtout La couleur tombée du ciel de Lovecraft qui rappelle, par beaucoup d’aspects, la trame d’Annihilation), et Alex Garland, qui en signe là l’adaptation cinématographique, connaît évidemment les siens (2001, Solaris, Stalker, ou plus récemment Under the skin et Premier contact). De fait, Annihilation ressemble à un pot-pourri de ce qui a déjà été exploré (le meilleur en tout cas) dans les domaines de la science-fiction et du fantastique.


En plus d’entrecroiser références et clins d’œil, Annihilation entremêle aussi les genres : projet étrange, machin hybride, œuvre hébétée, Annihilation oscille constamment entre grand n’importe quoi et "grand film malade" (selon la formule consacrée). Garland mélange à tout va giclées gore, clichés immuables (le groupe décimé au fur et à mesure), scènes maladroites (celle avec le crocodile), fulgurances esthétiques et fugues sensorielles (l’apothéose finale, magnifique et déconcertante, avec bande-son tripale ad hoc, qui paraît vouloir imposer sa propre marque au panthéon du fantastique en se rêvant tout aussi monumental, tout aussi énigmatique que celle de 2001).


Il y est donc question d’une zone mystérieuse (la zone X) créée par la chute d’une météorite et dont l’indicible emprise, à l’intérieur de la zone, influe sur les animaux, les paysages et les hommes (et même le temps) en altérant, en réinventant leur structure et leur psychisme. Lena, biologiste de renom et ancienne militaire, participe à une mission d’exploration de la zone (avec quatre autres femmes) de laquelle son mari, militaire également, est revenu seul survivant (mais étrangement inexpressif, comme "éteint") d’une mission précédente. Mission qui consiste à comprendre, à découvrir le fonctionnement et l’origine de la zone dont l’expansion semble ne jamais devoir s’arrêter.


À l’instar de Premier contact ou comme chez Tarkovski (dans Stalker plus particulièrement), l’intime interagit à un tout, à un élément irrationnel renvoyant femme et homme à leur histoire, à leurs failles et à leurs doutes. La surface du shimmer (le miroitement) entourant la zone évoque l’océan protoplasmique de la planète Solaris, mais là où celui-ci "recopiait" les souvenirs de ses hôtes en se nourrissant de leur passé (la femme morte du docteur Kelvin), la zone les mute, les clone, les agrège en un nouveau moi apte à s’adapter au futur qui s’annonce (comme le faisait le monolithe noir de 2001), moi sublimé qui s’apparenterait à un état d’immortalité (Lena lit La vie immortelle d’Henrietta Lacks de Rebecca Skloot) hérité des confins de l’univers.


Mais si tout, finalement, n’était qu’un rêve (VenderMeer, dans une interview accordée à Libération, déclarait que l’idée de la zone X lui était venue "d’un rêve très réaliste") ? Qu’un instant suspendu, supposé dans l’esprit de Lena, seule et profondément triste désormais depuis la disparition de son mari ("Ça va se développer jusqu’à tout posséder, corps et esprit", expliquera le docteur Ventress en évoquant l’entité extraterrestre de la zone, mais renvoyant aussi bien à l’alcoolisme, la maladie ou la dépression dont souffrent les cinq héroïnes) ? Lena en train de repeindre la chambre à coucher (la maison dans la zone X a la même configuration que celle de Lena et Kane dans la réalité), qui imagine le retour de Kane (qui ne serait ni mort au combat ni disparu en mission mais qui, tout simplement, a quitté Lena suite à sa liaison avec un de ses collègues) et croit au recommencement de son couple, à l’image ultime (mentale ?) de Lena et Kane, "modifiés", "imités", mais ensemble à nouveau.


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mymp
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le 24 avr. 2018

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