Ce film est bourré de bonnes idées, rien que ce truc dont on ne sait rien, ce "miroitement" qui grossit et engloutit tout pour transformer le monde qu'il englobe ne une sorte de réalité alternative, cette altération du vivant, psychédélique, inquiétante, qui abat les barrières entre le minéral, le végétal et l'animal, quelques visuels incroyables, poétiques ou morbides à souhait, où des cervidés paraissant tirés d'un Miyazaki cèdent la place à d'étranges orifices aux allures rectales, ce cadavre part-salpètre, part-végétal, part-chair putride... De quoi être hypé grave la mort, non?


Le problème, c'est que c'est trèèèèèèès, très mal utilisé. Et c'est d'autant plus frustrant qu'avec un bon staff derrière, surtout un scénariste talentueux et de bons SFX, on aurait pu avoir un truc dix fois plus excitants que du Villeneuve.


Tout d'abord, l'histoire ne tient pas debout. Depuis quand on envoie des rats de labo sans expérience ni condition physique et encore moins de protections décentes affronter un inconnu dont ne sont pas revenus des commandos surentraînés (sauf un, gravement malade)? On passera sur des détails délirants, comme le fait que toutes les femmes de l'escouade (oui, c'est un équipage uniquement féminin, comme ça n'est pas pas exploité, c'est peut-être un hasard) arrivent à crapahuter des heures avec un barda monstre sur les endosses et en tenant à bout de bras un fusil de 3,5kg sans jamais le porter à la sangle. Quant aux péripéties, beaucoup sont outrageusement violentes pour mettre un coup de stress, mais qui, par leur rapidité, ne contribue pas à rendre plus aigu le sentiment de danger (quoi de plus normal qu'un croco dans un marécage ou un ours dans la forêt?), là, où, justement, une contemplation suspendue aurait fait peser ce sentiment d'anormalité jusqu'au malaise. Pour le côté badass façon Aliens, leRetour, on repassera.


Et les personnages, parlons-en: tous sont des personnages-fonction, en dépit des efforts désespérés à grands coups de flashbacks dispensables pour donner un enjeu intime à la quête de l'héroïne, et d'un bref exposé de leur passé, à chacune très lourd, ou mystérieux (la psy). Le problème, c'est qu'une personne - et donc, un personnage - ne se résume pas à une expérience traumatisante, fût-elle longue et structurante. Donc leur caractérisation se résumera l'énoncé de ces traumas, et page suivante! Le mystérieux pèlerinage de personnages sans rapport les uns avec les autres qui trimballent le poids mort de leur passé dans une contrée mystérieuse façon Hypérion, c'est mort. On devra s'en contenter pour essayer de comprendre leurs comportements, pas forcément intuitifs pour le public.


Le miroitement est vecteur de tout un tas d'idées visuelles géniales, tour-à-tour gores ou poétiques, mais, le problème, c'est que, jamais une amorce d'explication n'est donnée, sinon que, d'une manière ou d'une autre, ça doit être vivant. Ca se transmet par contact direct, ça finit par imiter ce que ça rencontre, tout en disposant de ses propres formes (l'espèce d'antre, copie conforme d'un nid d'aliens, ou le gloubiboulga en fractales calculé sur un vieux Pentium). On sait peu de choses à son sujet, sur sa nature, ses propriétés, son éventuel objectif, les questions sont laissées sans réponses, et, au final, il ne se passe au plan science-fictionnel, pas grand-chose. Le phénomène est tellement vaste qu'il pourrait faire l'objet de développements intéressants pendant toute une saison d'une série. La façon dont il joue avec l'ADN est à peine effleuré, avec quelques termes bien savants à gauche à droite, pour masquer le fait que, à l'évidence, le public n'en saura pas plus. La façon dont il joue avec le reste (rayonnements électromagnétiques, pierre), non plus. On se rabattra, au choix, sur un bon Alien, un Body Snatchers ou le légendaire The Thing, dont la conclusion est autrement plus réussie sans tortiller autant du cul.


Lorsque finalement, Natalie Portman, copieusement esquintée par son aventure, arrive au phare, et se retrouve dupliquée grâce à une goutte de son sang par une sorte de rectum en CGI cheapos issu de la combustion interne de la psy, ça devient une sorte de grand-guignol moisi: elle se retrouve face à un prototype de son double, dans une substance que l'on soupçonne métallique, sans traits volumes musculaires, un androïde façon le jour où la Terre s'arrêta. Son abstraction et ses bruits genre musique noise semblent prétendre du côté d'un 2001 ou d'un Villeneuve, quand la musique fait "POOOIIIIINNNNN". Mais, même là, ça pêche: le grand guignol arrive lorsqu'elle parvient à niquer son double avec une grenade au phosphore non détonnée retrouvée sur la dépouille de son mari (celui qui est... revenu la trouver, au début du film). Elle se barre, tout prend feu. Banquet. On comprend ainsi que l'homme qui l'attend n'est pas son mari, mais son fac simile établi par le Miroitement. Elle lui demande, il confirme n'être probablement pas qui il prétend être. Puis il la prend dans ses bras (si, si, elle se laisse étreindre par quelque chose qu'elle sait ne même pas être humain en dépit des apparences!), et un gros plan débile sur leurs yeux montre comment a lieu la contamination.


Soupir.


Et c'est bien là que le bât bouche: entre effets faciles (attaques soudaines qui ne font que du remplissage, twists bidons) et les révélations qui sont annoncées à grands coups de fusil de Tchekhov, on en oublierait presque que, au final, il n'y a eu de réponse nulle part, que, modulo la contamination de l'héroïne par la copie de son mari dans le plan final, le Miroitement disparaît sans laisser beaucoup de traces exploitables, ou qu'on sache ce que c'était ou ce que ça voulait. Et cette roublardise masque à peine la conscience qu'a le scénariste de ne pas avoir de réponses à donner au public, voire qu'il n'a pas la moindre idée de ce qu'il est en train de raconter. Je vois poindre ce sentiment que j'ai eu devant Lost, sentiment confirmé à mi-mots par les auteurs de la série qui n'avaient, au départ, écrit qu'une seule saison, celui qu'il s'agit là d'un récit en roue libre, en impro totale. La multiplicité des références (mal traités) masque à peine une incapacité à se situer, entre S-F contemplative, horreur, S-F extra-terrestre, post-apo, film de monstres, film de fantômes... comme si l'auteur, sincère amateur de toutes les références qu'il cite, avait tenu à les placer dans son histoire, au prix d'une histoire cohérente, de personnages intéressants, et... d'un vrai développement!


Au final, j'ai le sentiment d'une histoire bâclée par un scénariste emporté par son enthousiasme et qui ne maîtrise rien des bases de l'écriture (rendre une histoire un minimum cohérente, écrire des personnages sympathiques et/ou intéressants, lever une partie de voile sur le mystère), mais qui, conscient de ce qu'il est en train d'écrire sur du vent, s'emploie à noyer le poisson, en espérant que le public n'y verra que du feu. On pourrait accuser le prod', mais celui-ci s'en est lavé les mains, ce qui n'en est que plus honteux pour le scénariste.


Si ces défauts d'écriture sont imputable au matériau d'origine, le premier volume d'une trilogie, espérons que les éventuelles suites ne souffriront pas du syndrome "Zombie Island" de David Wellington, histoire feuilletonnesque se lisant sans problème, mais inventée au fil de la publication originale des épisodes sur internet, jusqu'à un final grand-guignolesque sous-tendu par un twist que n'aurait pas osé utilisé dans sa rédaction.


Bref, un matériau super-sympa, mais une histoire écrite avec les pieds, le tout avec un gros manque d'ambition narrative (les CGI cheapos n'étant, au final, qu'un moindre mal) tartiné de gesticulations cache-misère qui rendent son creux encore plus flagrant.

Cafe-Clope
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le 22 mai 2018

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