ACHTUNG: Spoilers de oufs, je vais pas me gratter.


C'est beau, mais qu'est-ce que c'est chiant!


Villeneuve se prend de plus en plus pour Kubrick, composant ses plans (certes magnifiquement photographiés) comme autant de tableaux, certes sublimes, mais sans vie, à l'image du très artificiel casino où vit en reclus Deckard qui nous rappellerait les tétanisantes visions d'agoras vides de De Chirico. C'est certes bien vu sur une peinture, mais le côté complètement onirique de ces visions d'un monde desséché et poussiéreux refoule le public hors de ce monde qu'il avait connu grouillant de monde et constamment inondé de pluie.


Difficile de parler de BR2049 sans parler de son illustre aîné, comme annoncé clairement sur l'affiche (à gauche, en rouge, la "Villeneuve touch", et, à droite, en bleu, un rappel du film d'origine. Ce rappel est d'ailleurs si ostensible qu'il trahit un raccordement complètement artificiel. Cette volonté de se placer dans l'ombre de BR Senior est présente à peu près tout au long du métrage, ne serait-ce que par la partition synth-noise-minimaliste qui semble se contenter de singer le travail original de Vangélis à grand coups de rondes bien languissantes pour montrer qu'on a bien paramétré l'enveloppe sur son synthé. Si, visuellement, il apporte réellement quelque chose (les gris mats son splendides), il semble n'avoir aucune ambition particulière.


Le syndrome Villeneuve semble se codifier et se stabiliser autour de quelques caractéristiques: images hallucinantes, musique qui fait "POIIIIN" et quelques idées über-cool sans lien entre elles, vaguement agrégées par un scénar-prétexte rédigé sur une serviette McDo pour ne pas citer les produits Lotus.


Et c'est bien en cela que BR2049 pêche gravement: dans son écriture. Les personnages y sont assez peu caractérisés (Gosling, monolithique, est très à l'aise dans le rôle de l'ectoplasme ultra-violent), peu crédibles (je n'ai pas cru une seule seconde à ce qu'est devenu Deckard), leurs motivations sont soit assez basiques et floues, soit nanardeuses (le lieutenant Joshi, qui veut à tout prix maintenir le statu quo en bonne garante de l'ordre public, ou Wallace, qui est méchant parce qu'il est méchant, et aime à tuer ou faire tuer ses gens, débiter de la philo de comptoir, agir illogiquement, et faire la même chose que tous les soirs, Minus: tenter de conquérir le monde). L'idée de reconnecter au premier épisode en faisant de l'enfant mystérieux le croisement de Deckard et Rachael (comme par hasard) dont la rencontre et le coup de foudre étaient programmés par Tyrell (comme par hasard) pour ultérieurement donner naissance (comme c'est pratique) au premier "réplicant procréé"... ce qui aurait mis un coup d'arrêt définitif au business de la Tryell Corp, et laissé Wallace dans sa cage avec Minus et Cortex. bon, pourtant, c'était voulu, souhaité, toussa...


J'y perds mon latin! Alors, sinon, y aussi la dimension philosophique: l'âme, tout ça, c'est pas simple, est-ce qu'on peut-être plus humain que l'humain? Peut-on insuffler de la vie et une âme dans ce que l'on crée? (Réponse de Villeneuve à travers ce film: "Non, clairement.") Le film se donne des airs, se pique d'intellectualisme, mais il prend surtout la pose, bien plus que pouvait le faire Premier Contact, qui, au moins, s'efforçait de nous emballer de la fantasy dans un paquet de S-F un peu mal découpé avec quelques enjeux à la hauteur. Ici, peu d'enjeux (on se fout des personnages, de leurs psychologies et de leurs motivations), peu de péripéties (elles sont pour la plupart WTF et n'existent que parce que le point de départ du film est d'une rare artificialité), peu de questionnements vraiment intelligents (on sent quand même les obsessions mystico-pouet-pouet de Ridley Scott, producteur et co-scénariste et qui fait de ce film une suite ou plutôt un spinoff officieux d'Alien plutôt que de Blade Runner), des trous béants dans l'intrigue (sous-intrigues en queue de poisson, personnages secondaires dont on ne fait rien, pans entier du monde dont on ne comprend pas le pourquoi du comment) et surtout, quoi qu'il arrive, UNE ABSENCE TOTALE D'EMOTION!!!


Enfin, non, soyons justes: la scène finale, ou Deckard, le souffle coupé, pose sa main sur la paroi de verre qui le sépare de sa fille fraîchement retrouvée m'a touché. L'écran noir avec les crédits m'a moins emballé. Les moments avec son IA, en particulier la scène amoureuse avec le héros-qui-n'en-est-pas-un sous forme d'un triangle amoureux à deux sommets (parce qu'en fait ils sont trois, mais seulement deux corps, puisque l'IA malgré la jolie frimousse d'Ana de Armas n'existe pas physiquement, mais comme c'est elle qui veut baiser, ça fait trois volontés, enfin, on va dire que c'est une partie à trois moins racine de un tiers) son assez malaisants, car, au final, tout le monde postule qu'elle n'est qu'un programme, un produit commercial comme il en existe d'autres, et on sent que cette partie de bête à deux dos n'est qu'une masturbation dans un vagin facturé pour avoir la satisfaction de croire satisfaire une IA programmée pour satisfaire les appétits et le narcissisme du Monsieur. Ca va, ou on attend un peu ceux qui ont lâché, là?


Du coup, comme il n'a rien à dire, rien à raconter, il "prend son temps" (en français: il étire jusqu'au malaise plans et séquences) et meuble le tout avec des visuels pour certains vus et revus (certes, en moins bien). Il n'y a pas beaucoup de Ghost dans ce Shell, et, précisément, j'ai pu voir GitS hier, soit une semaine après BR2049. Et, malgré tous ses défauts, Ghost in the Shell parvient à en dire infiniment plus que Blade Runner 2049... avec exactement UNE HEURE de métrage en moins!


Bref, BR2049 s'acharne à se revendiquer de ses maîtres, alors que sa seule existence supposait de s'en affranchir et de proposer du neuf, et pas seulement des superbes visuels pour un clip de Perturbator. Il s'acharne à être surtout un objet sensoriel (surtout visuel), sans chercher à raconter des événements ou des personnes. Au final, le film est aussi vide et creux que cette statuaire dévastée entrevue aux alentours du Casino. Tout au plus peut-on espérer que cela inspirera une ou deux nouvelles merveilles à Wojtek Siudmak s'il n'a pas laissé tomber le pinceau depuis.

Cafe-Clope
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le 19 avr. 2018

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