Chahuté par la frustration des cinéphiles qui imaginaient la griffe d’Edgar Wright (Shaun of the dead, Scott Pilgrim…) sur le canapé Marvel, Ant-Man ne parvient pas à s’imposer comme une œuvre en soi. Ceux qui n’y voient pas une déception s’en constituent la partie défenderesse, sans que suffisamment de recul ne soit pris pour objectiver ce film-charnière. Pourtant, ancrer une œuvre dans son passé pré-production s’avère peu productif. Cela revient à la fouetter de « et si… ? », à gager des paris en bouteilles. Loin des litanies analytiques, il vaut mieux scruter l’objet livré aujourd’hui, au prisme de ce qu’il invoque de neuf.
On l’aura beaucoup lu, la firme aux super-héros, rachetée par Disney, navigue sur un business plan calligraphié au millimètre. Les commerciaux choisissent ces pérégrinations myrmécophiles pour clore la deuxième phase de leur assaut sur Hollywood. Tabler sur cette modeste égérie paraît ambitieux : le public la connait moins qu’un Iron man. Les Gardiens de la Galaxie, tout aussi méconnus, remportaient l’été dernier un succès critique et d’audience, ce qui encourage ce genre de prises de risque.
L’on nous somme d’affectionner Scott Lang, cambrioleur pétri de rédemption, furieusement avide de droit chemin. Prêt à n’importe quel job rasoir honnête, tant qu’il obtient la garde de sa fille. Englué dans le déterminisme, le galérien n’a vite pas d’autre solution que la récidive. Ses talents attirent l’attention d’un scientifique en détresse, campé par un Michael Douglas qui sort le grand jeu. À l’intérieur d’une combinaison qui le rétrécit à sa guise, l’ex-taulard doit infiltrer une multinationale pour ôter de ses mains mercantiles une technologie annihilatrice. La routine, au royaume des super-héros.
Les initiés le savent : l’enjeu du genre se décèle dans l’exploitation de la spécificité du personnage. Le scénario d’Ant-Man comporte ses gravats solennels dispensables. Tant pis. Son potentiel dantesque peut jaillir du pouvoir à l’œuvre : adopter une taille de quelques centimètres en conservant une force colossale. La scène d’initiation à l’aptitude se montre à la hauteur. Les valeurs de proportion font mouche. Une farandole de dangers issus des objets quotidiens endiguent Scott Lang, alors davantage proie qu’héros. De sa baignoire à une platine vinyle, il n’a pas le loisir de récupérer son souffle. Le rythme du montage, servi par des plans succincts, accompagne cette syncope par l’effroi.
Ce nouvel avatar charrie avec lui toute une imagerie fascinante. Architecte, disjoncteur, monture, ses acolytes fourmis remplissent des fonctions salvatrices. Le film a le bon goût d’évacuer son premier degré loin de ce bestiaire déjanté. Quelques délires parachutés délassent les sourcils, comme ces grenades grossissantes qui transforment des jouets d’enfants en instrument de destruction. Avouons que Peyton Reed, réalisateur qui ne mérite pas tous les griefs dont on l’a assommé, n’exploite pas à l’extrême l’extravagance du pouvoir de rétrécissement. Si les dialogues sèment des espiègleries toujours gentillettes, les affrontements dégoulinent souvent de sérieux. Pire : quelques chorégraphies travestissent la capacité de rapetisser en une simple invisibilité, la caméra conservant le point de l’opposant plutôt que du lilliputien héroïque.
Ant-Man conserve quelques vraies tranches d’émerveillement. On lui pardonne son scénario, à deux mandibules de l’homélie, et ses protagonistes secondaires patauds. L’acteur principal, Paul Rudd, semble à l’aise et y injecte sa bonhomie. Dommage que Peyton Reed ait gardé des fourmis dans les jambes. Sa thématique, il y avait des terriers entiers à y creuser.