De la complexité à présenter ses intentions

Cette critique est l'église du Spoiler, vous avez intérêt à ne pas avoir peur de lui si vous voulez rester ici.


Vous savez ce qui peut vraiment frustrer un amateur de films ? En regarder un qui le débecte, pour lequel il veut exprimer son dégoût à cause d'une idéologie douteuse, puis envisager qu'il n'avait en fait rien compris à ce qu'exprimait réellement son auteur et qu'il l'a injustement conspué. C'est frustrant déjà pour l'ego, parce qu'on a matière à bien passer pour un con. C'est frustrant aussi parce qu'on est peut-être passé complètement à côté d'une oeuvre qui aurait dû nous ravir. Enfin c'est frustrant parce que ça remet en question notre capacité à évaluer le film : est-ce que le problème venait de moi qui suis trop bête, ou du film qui n'est pas assez clair ? Dois-je vraiment lui en vouloir? Vous aurez deviné que le rejeton de Lars Von Trier provoque chez moi cette interrogation.


Avec un titre comme Antichrist, la 1ère impression que l'on aura est que le film fait dans le paranormal et on attendra les manifestations du démon. Or c'est un titre qui sert plutôt d'image, celui qui cherche du gros film d'horreur avec un boogeyman concret en sera pour ses frais, mais c'est une bonne surprise pour moi. Antichrist dégage une atmosphère de dingue avec ses paysages hantés et son sound design oppressant mais non bruyant. C'est une vraie splendeur visuelle, les plans sont des tableaux. Lars Von Trier arrive à mettre mal à l'aise même sans faire agir ses personnages et fait naître un malaise palpable sur son huis-clos avec peu d'action. Une simple scène d'attente dans la cabane devient angoissante quand la nature se fait entendre. Faire de l'horreur de cette manière là, presque en sourdine, me plaît beaucoup.


Le couple présenté offre en prime une relation ambiguë qui se marie très bien avec ce cadre menaçant. Aussi bien le mari que l'épouse ont quelque chose de louche, l'un se montrant dominateur tandis que l'autre cache un mal-être dont on ne sait pas jusqu'où il s'étend. L'interrogation se porte autant sur ce que le mari pourrait demander à sa femme "pour son bien" que sur ce que l'épouse ressent réellement. Il y a ainsi la question de l'explosion d'un couple qui reste en suspend, de façon vénéneuse, ce qui est un excellent terreau pour le sommet de noirceur promis par la campagne promotionnelle.


Mais quand cette explosion a lieu, je ne sais plus où me mettre. C'est très sale, mais du sale qui me paraît gratuit. Gratuit dans le sens où je n'ai pas eu l'impression que Charlotte Gainsbourg avait besoin de péter le zizi de Willem Dafoe pour ensuite le masturber, ou alors ce n'est pas bien expliqué. J'aime les films violents, je trouve que c'est un très bon reflet de la violence mentale que subissent les personnages et ça rend leur craquage d'autant plus viscéral. Mais là je ne comprenais pas le craquage, je trouvais qu'il surgissait de nulle part et qu'il s'exprimait d'une manière qui ne me paraissait pas naturelle du tout. Je ne voyais pas l'épouse qui devient folle et agit en conséquence, je voyais Lars Von Trier qui nous balançait une éjaculation de sang pour le plaisir de fournir une scène choc. Puis qui nous montrait Charlotte Gainsbourg décider de tout interrompre et de se barrer à poil dans la forêt pour s'y masturber avec force, parce que ça fait un symbole sur celle qui se donne à la nature puisque la nature c'est Satan. Si on avait été dans un Jodorowsky ça serait peut-être passé, parce que le bonhomme nous habitue d'entrée de jeu à abandonner une pensée rationnelle pour se concentrer à la place sur des métaphores visuelles. Comme ce n'est pas le cas ici, on prend ça au 1er degré parce qu'on vient tout juste de se prendre de grosses dégueulasseries sur la tronche sans avertissement, on n'est pas en état de regarder ça d'un angle plus adapté et on se dit juste "C'est tout ce qu'elle trouve à faire en cet instant ?". C'est un bon exemple d'une scène qui n'est pas absurde artistiquement mais qui est sacrément mal amenée. D'ailleurs le mari profite de cette pause de sa femme pour s'évader, ce qui empêche de prendre cette scène de masturbation pour de la pure métaphore abstraite. C'est comme si un héros en infiltration se tournait vers la caméra pour parler aux spectateurs et que cela provoquait son arrestation parce que les gardes ont entendu sa narration.


Le film se poursuit avec un étalage de hurlements stridents, de Charlotte qui pousse la torture de plus en plus loin, puis qui change brusquement d'attitude, puis qui revient à son idée initiale. Après la débauche de saleté dont la gratuité apparente me pousse à la cataloguer de puérile, je ne suis plus disposé à faire un effort pour le film. Je ne le prend plus au sérieux, je ne cherche plus à lui trouver une logique et regarde l'enchaînement de violence avec froideur. Le film se termine et il est temps de revenir sur ce vieux débat à son sujet : misogyne ou pas misogyne ?


Sur le coup j'ai sincèrement pensé qu'il s'agissait bien d'une considération biblique de la femme, à savoir qu'elle constituerait la source de tous les problèmes d'un homme a priori globalement innocent (en dehors d'une courte énonciation de la distance du mari envers son enfant). Même son gosse elle le laisse sciemment mourir en détournant l'attention de l'homme, comme une figure maléfique. Le personnage de Charlotte Gainsbourg soutient que la Femme est mauvaise, Willem Dafoe lui rétorque que non. Mais la mariée donne raison à ses déclarations. Elle demande à être frappée parce qu'elle serait mauvaise et de fait elle succombe très facilement à une hystérie que l'on aurait attribué à une époque au démon, elle se met ainsi à maltraiter son pauvre mari. La représentation du sexe aussi est étrange : elle passe son temps à pousser son mari à lui faire l'amour, lui qui ne le souhaite pas tant que ça. Elle insiste beaucoup, et dans ce contexte catholique et avec ce titre évocateur ça ressemble à une allusion à la succube tentatrice. Elle se livre même à Satan par le biais du gros chêne avant de se punir en se coupant le sexe, juste pour le symbole laid. Le film se termine même sur une vague de femmes qui se dirigent vers Willem Dafoe comme des forces démoniaques. Moi qui espérais défendre le film en disant que son sexisme est une mauvaise interprétation, je me suis retrouvé très embarrassé car je ne trouvais pas de porte pour le voir autrement que comme une vision pour le moins sombre de la Femme.


J'ai alors regardé les bonus du DVD pour laisser la parole à la défense. Et les bougres se sont montrés assez convaincants. J'ai ainsi pu comprendre que le personnage de Charlotte Gainsbourg agit non pas parce que ses textes sur la Femme ont raison, mais parce qu'il y a tellement cru qu'il s'est mis à agir en accord avec ces idées, comme un placebo. Elle veut être frappée parce qu'elle croit être démoniaque, elle attaque son mari parce qu'elle est devenue hystérique à force de penser qu'elle est mauvaise, elle se livre au diable parce qu'elle est persuadée que c'est sa nature. Elle a sombré parce que sa relation avec son mari s'est discrètement envenimée et parce qu'elle a bouffé sans recul beaucoup de textes glauques qui pouvaient fournir une explication à la source de ses problèmes. C'est très intéressant comme situation et ça change complètement ma perception de Antichrist. Quand je pensais que Lars Von Trier donnait raison à cette vision moyen-âgeuse de la Femme, en vérité il montrait comment ces superstitions empoisonnent les esprits au point qu'on finisse par s'y conformer et son titre prend une valeur plus ironique. D'une certaine manière j'aurai pu le deviner seul en remettant les événements en question et en ne considérant pas d'office qu'il y aurait du fantastique, donc je ressens un peu de honte à m'être laissé allé à un jugement hâtif. Sauf que Lars Von Trier manque quand même de clarté dans sa démarche. Il laisse toutes les portes ouvertes y compris celles qui mènent sur des gouffres, sa version psychologique est moins instinctive à percevoir que l'interprétation biblique qu'il met autant en valeur et qui serait très sérieuse chez d'autres réalisateurs. Son épilogue par exemple, je ne sais toujours pas ce qu'il représente mais je constate qu'il associe une vague de femmes à une ambiance oppressante. C'est peut-être pour présenter la façon dont le mari se met à les percevoir, mais on n'est pas en mesure de savoir si c'est le point de vue que le réalisateur veut nous faire ressentir ou s'il s'agit de le remettre en question par la distanciation. Il est difficile de percevoir l'ironie chez quelqu'un que l'on ne connaît pas et qui ne laisse guère de clés. Je suis sûr qu'on aurait pu trouver un bon compromis entre la surabondance d'explications qu'on trouve dans les blockbusters et cette radinerie d'indications qui laisse libre court à l'interprétation qui est à la fois la plus évidente et celle qui fait le plus de mal au film.


Même avec ces explications il y a des trucs qui passent toujours mal. Quand Lars Von Trier explique dans les bonus qu'il en a rajouté dans les textes et déclarations misogynes parce qu'il voulait faire de la provocation, ça vérifie une de mes craintes. La provocation sert à réveiller les gens en leur foutant la tête dans une merde à dénoncer, ou bien à assumer avec fracas quelque chose de mal vu mais que l'on défend sincèrement. C'est un moyen, pas une fin. Faire de la provoc pour faire de la provoc, c'est du niveau des gosses qui disent des gros mots juste pour voir des visages choqués. C'est très nul pour le spectateur. Combinez ça avec un propos ambigu et il devient logique que le film ait fait scandale. Charlotte Gainsbourg a beau défendre le film en déplorant que la critique n'accepte pas d'être ainsi secouée, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'un grand huit qui enchaîne mal les looping génère davantage de vomi que de frisson.


Pour une fois j'aurai dû me renseigner davantage sur l'histoire avant de le voir, quitte à en apprendre trop. Cela m'aurait peut-être permis de le regarder sous un autre angle et de mieux accepter ce qu'il me présentait. Mais malgré ses envolées remarquables et son atmosphère brillante, je maintiens qu'il gère mal ses séquences choc, et c'est un grand amateur de J'ai rencontré le diable qui vous dit ça. Ma note reflète mon impression après le 1er visionnage, j'aurai pu la modifier à la lumière des interviews mais le souvenir que me laisse Antichrist demeure pénible pour moi. Et je n'ai aucune envie de revoir Charlotte Gainsbourg branler une bite en sang et se couper le sexe.

thetchaff
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le 18 août 2017

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